mercredi 27 février 2019

Dieu est dans la nature


- l'ordre du monde ne dépend pas de toi !
- ce qui dépend de toi, c'est ton attitude devant l'ordre du monde...
- accorde toi avec le monde sinon tu deviendras un fou bien malheureux !
- change tes opinions plutôt que l'ordre du monde !
- arrête de te plaindre !
- et oui, tu seras heureux, si et seulement si tu es en accord avec l'ordre du monde !...
(c'était les blablas d'Epictète !)

vendredi 22 février 2019

Soyez tranquille, restez indifférent à la vaine agitation qui règne autour de vous...


  Soyez zen, restez zen, soyez tranquille, restez indifférent à la vaine agitation qui règne autour de vous ! Pour tout dire, prenez exemple sur votre chat, qui est parfaitement zen lui aussi, hyperboliquement zen, résolument placide face aux frivolités frénétiques de votre vie, souverainement indifférent à ce qui vous tarabuste, comme la dernière élection présidentielle ou le prochain tiers provisionnel, prodigieusement apaisé pour mieux saisir l'instant qui passe et le déguster sans inquiétude et sans remords !
   Imagine-t-on un animal, ou plutôt un être vivant, ou, mieux encore, un maître de vie aussi parfaitement détaché que le chat, aussi insoucieux des aléas de l'avenir, aussi calme pour se replier sur la seule vérité qui soit, celle qui concentre cette goutte impalpable du présent dans le torrent de la durée et qui permet d'atteindre aux plus intenses félicités et à la sagesse ?
   Zen le chat ? Ô combien !

Dictionnaire amoureux des Chats - Frédéric Vitoux

dimanche 17 février 2019

Chamane...


CHAMANE
La morale du citoyen, c'est de mettre au-dessus de tout la survie, la sécurité de la collectivité. Mais si la morale des Occidentaux est maintenant la morale du plaisir, du bonheur des individus et non pas la vertu du citoyen, alors la survie est en question.
Raymond Aron - "Le spectateur engagé" 1981
(photo Chamonix)

Quand la valeur doit laisser sa place aux valeurs



Là où vivent les notes de Mozart
Pour ne pas que la musique s'arrête :
Le moment est venu pour les comptables de la main invisible de s’écarter pour laisser la place aux sages de la protection des communs. Le moment est venu pour la valeur de laisser la place aux valeurs.
Paul Jorion - économiste et anthropologue
"Quand la valeur doit laisser sa place aux valeurs"

samedi 16 février 2019

Aller de l'avant, tenter...


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(Chamonix)
Toujours rechercher la difficulté
non pas le danger
Aller de l'avant, tenter, créer
Dans l'audace il y a l'enchantement

jeudi 14 février 2019

Les hommes pensent, les Dieux rient !

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Promesse tenue...

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«Je ne vais pas bien. Ça a commencé dès ma naissance, et depuis le temps, je me suis habituée. Vous ne le savez peut-être pas, mais le malheur, la souffrance et l’humiliation que chacun de nous peut supporter dépassent notre imagination. Le pire, c’est qu’on s’y habitue, et beaucoup plus vite qu’on ne le croit. On s’habitue aux choses les plus atroces lorsqu’il n’y a pas d’issue. On survit, malgré soi. Notre capacité d’endurance est élastique et notre nature très coriace. J’ai eu une enfance très difficile. Ma mère ne savait pas ce qui se passait à la maison quand elle n’était pas là, et elle ne le sait toujours pas, je ne lui ai pas dit. Elle est déjà assez malheureuse comme ça. Quand ma mère partait au travail, mon grand-père et mon oncle, tous deux drogués - nous vivions avec eux depuis la mort de mon père - amenaient des hommes à la maison et m’enfermaient dans la pièce avec eux. Dès dix ans, j’étais déjà pute. Officieusement. Après, ils me criaient dessus en me traitant de pute. Je ne l’ai jamais dit à ma mère ; à quoi ça aurait servi ? Elle même devait se vendre pour payer la dose de son père et de son frère. Mon père, il est mort à la guerre. Il n’était pas drogué. Je n’avais pas encore deux ans. Je ne me souviens pas du tout de lui.
C’est très difficile de dénouer un tel destin. Il faut beaucoup de courage, de chance, et de bonnes rencontres. Je n’en ai pas eu. C’est impossible de sortir de la misère.»

Les putes voilées n'iront jamais au paradis - Chahdortt Djavann

Un oso tuerto ?

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Squat the World

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A l'origine de la créativité se trouve la souffrance, la sienne et celle des autres. La douleur véritable est ineffable, elle nous rend sourds et muets, elle est au-delà de toute description et de toute consolation. La douleur véritable est une baleine trop grande pour être harponnée. Et pourtant, malgré ça, les écrivains s'efforcent de poser des Mots sur le néant. Nous jetons des Mots comme on jette des cailloux dans un puits radioactif jusqu'à le combler.
Rosa Montero - L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir

La noche, un oso tuerto que le mira

Photola noche
Pour ma part, ces crises angoissantes (*crises d'angoisse) ont élargi ma connaissance du monde. Je me félicite aujourd'hui de les avoir eues : j'ai su comme ça ce qu'était la douleur psychique, qui est dévastatrice dans ce qu'elle a d'ineffable. Car la caractéristique essentielle de ce que nous appelons la folie, c'est la solitude, mais une solitude monumentale. Une solitude tellement grande qu'elle ne rentre pas dans le mot solitude et que vous ne pouvez même pas arriver à l'imaginer si vous n'y avez jamais mis les pieds. C'est sentir que vous vous êtes déconnecté du monde, qu'on ne va pas pouvoir vous comprendre, que vous n'avez pas de Mots pour vous exprimer. C'est comme parler une langue que personne d'autre ne connaît. C'est être un astronaute flottant à la dérive dans l'immensité noire et vide de l'espace intersidéral. Je parle d'une solitude de cette grandeur là. Et il se trouve que dans la douleur véritable, dans cette douleur-avalanche, quelque chose de semblable se produit. La sensation de déconnexion n'est pas aussi extrême, mais vous ne pouvez pas non plus partager ni expliquer votre souffrance. La sagesse populaire le dit bien : Untel est devenu fou de douleur. La peine aiguë est une aliénation. Vous vous taisez et vous vous renfermez.
C'est ce qu'a fait Marie Curie ..............

Rosa Montero - L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir

J'attends des jumeaux ou des triplés ?!


Imagen 4 D Prenatal
"Conoce a tu bebe antes de nacer..."
(Très controversée en France)

Le délire radioactif

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"Mais le délire radioactif s'étendait à bien d'autres domaines que ceux de l'esthétique pure. S'ils se mettaient un sac avec du radium sur le scrotum, les impuissants guérissaient".

Rosa Montero - L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir

Radium resplendissant

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Le 26 décembre 1898, ils informèrent l'Académie des sciences de leur trouvaille et devinrent aussitôt assez célèbres, mais rien de comparable avec ce qui viendrait après le Nobel. Ce radium resplendissant et puissant enflamma l'imagination des êtres humains : c'était le principe même de la vie, une pincée de l'énergie du cosmos, le feu des dieux apporté sur la Terre par ces nouveaux Prométhée qu'étaient les époux Curie. Des scientifiques du monde entier se mirent immédiatement à rechercher les applications médicales de leur découverte, comme, par exemple, soigner les tumeurs cancéreuses (on utilise aujourd'hui encore la radiothérapie dans le même but, sauf que la source radioactive n'est plus le radium mais le cobalt), et l'enthousiasme atteignit des niveaux si élevés que ce nouvel élément commença à être dangereusement et inconsciemment utilisé pour tout, comme s'il s'agissait d'un baume magique.

Par exemple, on rajoute du radium dans les cosmétiques : dans des crèmes pour le visage qui vous gardaient soi-disant éternellement jeunes, dans des rouges à lèvres, dans des lotions pour renforcer et embellir la chevelure, dans des dentifrices pour rendre les dents très blanches et foudroyer les caries, dans des onguents miraculeux contre la cellulite. Une réclame de la crème Alpha-Radium disait : "La radioactivité est un élément essentiel pour garder les cellules de la peau saines." En matière de beauté, les femmes ont toujours fait des horreurs, comme utiliser pendant des siècles du carbonate de plomb pour se blanchir la figure, ou du rouge à lèvres confectionné avec du sulfure de plomb, de la chaux vive et de l'eau, le tout étant terriblement toxique et à la longue mortel. Entre autres effets secondaires, le plomb faisait tomber les cheveux : c'est pour ça qu'Elisabeth I d'Angleterre, qui s'éclaircissait le teint avec un emplâtre de plomb au vinaigre, finit par présenter cet aspect choquant et cette calvitie épouvantable.

Mais le délire radioactif s'étendait à bien d'autres domaines que ceux de l'esthétique pure. S'ils se mettaient un sac avec du radium sur le scrotum, les impuissants guérissaient. Si vous attachiez ce sac à votre taille, vous n'aviez plus d'arthrite. Les bains radioactifs vous rendaient votre vigueur, et un peu de radium soignait des maux tels que les névralgies ou les rhumes. Sarah Dry ajoute qu'on avait même fabriqué de la laine radioactive pour faire des habits pour bébé : "En tricotant les habits de votre bébé, utilisez la laine O Radium, une merveilleuse source de chaleur et d'énergie vitale, qui ne rétrécit pas et ne feutre pas." Lire une chose pareille fait évidemment froid dans le dos.

Le radium était bien sûr présent en quantités infinitésimales dans toutes ces préparations, parce que c'était une substance très difficile à obtenir et donc très chère. Mais, à ces doses minimales, le niveau de radiation était très supérieur à ce qui est admis aujourd'hui. Cette frénésie du marché à tirer un profit économique de la nouvelle mine d'or est une chose connue et répugnante, surtout quand on pense que la laine toxique a probablement été commercialisée comme un produit pour bébé précisément parce qu'elle était chère, étant donné que nous sommes prêts à faire plus de sacrifices pour nos enfants (pensez aux familles à maigres ressources, pensez à un enfant à la santé délicate, pensez à des parents qui ne peuvent pas payer de bons docteurs, mais qui, en faisant de gros efforts, lui achètent cette laine irradiante et soit-disant guérisseuse avec laquelle ils tricoteront pour le bébé malade un joli gilet radioactif).

Toute cette frénésie dura, aussi incroyable que ça puisse paraître, presque trois décennies : "Le monde est devenu fou avec cette histoire de radium ; il a réveillé notre crédulité exactement comme les apparitions de Lourdes avaient réveillé la crédulité des catholiques" ; écrivit Bernard Shaw, repris par Goldsmith dans son livre. Et si les gens se mirent enfin à prendre conscience des dangers de la radioactivité dans les années 30, ce fut en grande partie grâce à un incident douloureux : en 1925, un faux docteur nommé William Bailey breveta et commercialisa un produit appelé Radithor. Il consistait en une solution d'eau avec des isotopes radioactifs et soignait soi-disant la dyspepsie, l'impuissance, une tension artérielle élevée et cent cinquante autres maladies endocriniennes.
Deux ans plus tard, un millionnaire et champion de golf nommé Eben Byers commença à prendre du Radithor sur prescription médicale pour soigner une douleur chronique au bras. Apparemment, il déclara au début se sentir rajeuni (le pouvoir de la suggestion !), mais en 1932, après avoir ingurgité entre mille et mille cinq cents bouteilles de ce tonique sur cinq ans, Byers mourut physiquement détruit : anémie sévère, destruction massive des os et de la mâchoire, du crâne et du squelette en général, maigreur extrême et dysfonctionnement rénal. Un scandale éclata et les autorités prirent des mesures. Mais il est incroyable que personne n'ait réagi plus tôt : il y avait je suppose, trop d'intérêts en jeu. Ça ne vous inquiète pas de penser à ce qui pourrait être aujourd'hui notre radioactivité autorisée, quelles substances légales pourraient être en train de nous tuer stupidement .

Rosa Montero - L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir

http://www.topito.com/top-pubs-vantent-bienfaits-produits-radioactifs

https://www.dissident-media.org/infonucleaire/radieux.html

Votre couleur préférée : rose ou bleue ?

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- Magdalena Haloway ?
- Oui, c’est moi.
- Très bien. Pourquoi ne commenceriez-vous pas par nous parler un peu de vous ?
L’Evaluateur à lunettes se penche en avant en écartant les mains et en souriant. Il a de grandes dents carrées qui me rappellent les carreaux de la salle de bains. Le reflet sur ses verres m’empêche de voir ses yeux, et je prie en silence pour qu’il retire ses lunettes...
- Parlez-nous de ce que vous aimez faire, insiste-t-il. Quels sont vos centres d’intérêt, vos loisirs, vos matières préférées ?
Je me lance dans l’exposé que j’ai préparé, sur la photographie, la course à pied et mes amies, sans parvenir toutefois à me concentrer. Je vois les Evaluateurs opiner en prenant des notes et des sourires se dessiner sur leurs lèvres, signalant qu’ils se détendent : je m’en tire bien, même si je n’entends pas les mots qui sortent de ma bouche. Je suis obnubilée par la table d’opération, je lui jette régulièrement des coups d’oeil : la lumière joue sur sa surface comme sur la lame d’un couteau.
..........
..........
- Voulez-vous un peu d’eau ?
La femme m’indique une bouteille et un verre sur la table. Elle a remarqué que j’avais flanché pendant quelques secondes, mais ce n’est pas grave. J’ai terminé ma présentation et, à la façon dont les Evaluateurs me considèrent - avec satisfaction et fierté, comme s’ils étaient face à un petit enfant qui vient de réussir à faire coïncider des formes géométriques avec les découpes sur un plateau en bois-, je sais que je les ai convaincus.
Je me sers et avale quelques gorgées d’eau, profitant de cette pause bienvenue. Je sens la sueur perler sous mes bras, sur mon crâne et sur ma nuque, et je prie pour qu’ils n’en voient rien. Je m’efforce de garder les yeux rivés sur eux, mais du coin de l’oeil j’aperçois toujours cette maudite table qui me nargue.
- Très bien Léna, maintenant, nous allons vous poser quelques questions. Nous attendons des réponses honnêtes. Rappelez-vous, notre but est d’apprendre à vous connaître en tant que personne.
Je ne peux pas m’empêcher de me demander : «Par opposition à quoi ? Moi en tant qu’animal ?» J’inspire profondément et me force à acquiescer en souriant.
- Entendu
- Quels sont vos livres préférés ?
- Amour, guerre et intrusions, de Christopher Malley, réponds-je du tac au tac. Frontière, de Philippa Harolde.
Inutile d’essayer de repousser les images mentales qui déferlent à présent sur moi. Un mot ne cesse de s’écrire dans mon esprit comme pour s’y graver à tout jamais. Douleur. Ils voulaient imposer à ma mère un quatrième Protocole.
.........
.........
- Et Roméo et Juliette, de William Shakespeare, conclus-je.
Les Evaluateurs opinent du chef en notant mes réponses. Tous les élèves de troisième étudient la pièce de Shakespeare en cours de santé.
- Et pourquoi ? s’enquiert le troixième Evaluateur.
«Parce que c’est terrifiant» : c’est ce que je suis sensée répondre. Il s’agit d’une histoire édifiante nous mettant en garde contre les dangers du vieux monde, avant le remède. Mais j’ai l’impression que ma gorge a enflé, que les mots ne peuvent plus se frayer un chemin, ils y restent accrochés telles les ronces qui se prennent dans mes vêtements lorsque je cours dans les champs. J’ai soudain l’impression d’entendre le grondement sourd de l’océan, son chuchotis distant et insistant, et j’imagine ce qu’a dû ressentir ma mère lorsque l’eau, aussi pesante qu’une chappe de béton, s’est refermée sur elle. Voilà pourquoi la réponse qui m’échappe est la suivante :
- Parce que c’est beau.
Aussitôt les quatre visages se redressent pour m’observer, comme des marionnettes reliées par un même fil.
- Beau ? répète l’Evaluatrice en fronçant le nez.
Il y a une tension à couper au couteau dans la pièce, et je me rends compte que j’ai commis une très, très grosse erreur. L’Evaluateur à lunettes se penche en avant.
- Le choix de ce terme est intéressant. Très intéressant.
Cette fois, lorsque ses lèvres découvrent ses dents, celles-ci m’évoquent davantage les canines courbes d’un chien.
- Peut-être trouvez-vous une forme de beauté à la souffrance ? Peut-être appréciez-vous la violence ?
- Non. Non, pas du tout.
J’essaie de me concentrer, mais le grondement de l’océan envahit ma tête. Il est plus fort de seconde en seconde. A présent il me semble entendre des hurlements, plus faibles, comme si l’écho de ceux de ma mère me parvenait après toutes ces années.
- Je voulais dire... C’est tellement triste d’une certaine façon...
Je me débats pour me maintenir à la surface, mais je sombre maintenant, engloutie par la lumière blanche et le bourdonnement... Le sacrifice. J’aimerai leur parler de la beauté du sacrifice, mais les mots ne sortent pas.
- Avançons, reprend froidement l’Evaluatrice, qui s’est départie du ton amical avec lequel elle m’avait proposé à boire. Nous allons vous poser une question simple. Quelle est votre couleur préférée ?
Une partie de mon cerveau, celle où siègent la rationalité, l’instruction et la logique, me hurle : «Bleu ! Réponds bleu !» Mais cette autre partie de moi, plus ancienne, que me rapportent les vagues assourdissantes, l’emporte.
- Gris, bredouillé-je.
- Gris ? s’exclame le quatrième Evaluateur.
Mon estomac se décroche. Je sais que je m’enfonce, je peux pour ainsi dire voir mes notes dégringoler sous mes yeux. Mais il est trop tard. Je suis fichue, à cause de ce grondement, qui s’amplifie encore et encore, de ce piétinement sourd qui m’interdit toute concentration. Je bafouille malgré tout une explication :
- Pas vraiment gris. Juste avant le lever du soleil, il y a un moment où le ciel est de cette couleur pâle indéfinissable, une sorte de gris ou de blanc, et je l’ai toujours aimée parce qu’elle me fait penser à ce qu’on éprouve en attendant un événement heureux.
Ils ne m’écoutent plus. Ils ont tous le regard rivé sur un point derrière moi, le cou dévissé, l’air déconcerté, comme pour tenter d’isoler un mot familier au milieu d’un discours tenu dans une langue étrangère.

Delirium - Lauren Oliver

Evaluation


- Magdalena Haloway ?
- Oui, c’est moi.
- Très bien. Pourquoi ne commenceriez-vous pas par nous parler un peu de vous ?
L’Evaluateur à lunettes se penche en avant en écartant les mains et en souriant. Il a de grandes dents carrées qui me rappellent les carreaux de la salle de bains. Le reflet sur ses verres m’empêche de voir ses yeux, et je prie en silence pour qu’il retire ses lunettes...
- Parlez-nous de ce que vous aimez faire, insiste-t-il. Quels sont vos centres d’intérêt, vos loisirs, vos matières préférées ?
Je me lance dans l’exposé que j’ai préparé, sur la photographie, la course à pied et mes amies, sans parvenir toutefois à me concentrer. Je vois les Evaluateurs opiner en prenant des notes et des sourires se dessiner sur leurs lèvres, signalant qu’ils se détendent : je m’en tire bien, même si je n’entends pas les mots qui sortent de ma bouche. Je suis obnubilée par la table d’opération, je lui jette régulièrement des coups d’oeil : la lumière joue sur sa surface comme sur la lame d’un couteau.
..........
..........
- Voulez-vous un peu d’eau ?
La femme m’indique une bouteille et un verre sur la table. Elle a remarqué que j’avais flanché pendant quelques secondes, mais ce n’est pas grave. J’ai terminé ma présentation et, à la façon dont les Evaluateurs me considèrent - avec satisfaction et fierté, comme s’ils étaient face à un petit enfant qui vient de réussir à faire coïncider des formes géométriques avec les découpes sur un plateau en bois-, je sais que je les ai convaincus.
Je me sers et avale quelques gorgées d’eau, profitant de cette pause bienvenue. Je sens la sueur perler sous mes bras, sur mon crâne et sur ma nuque, et je prie pour qu’ils n’en voient rien. Je m’efforce de garder les yeux rivés sur eux, mais du coin de l’oeil j’aperçois toujours cette maudite table qui me nargue.
- Très bien Léna, maintenant, nous allons vous poser quelques questions. Nous attendons des réponses honnêtes. Rappelez-vous, notre but est d’apprendre à vous connaître en tant que personne.
Je ne peux pas m’empêcher de me demander : «Par opposition à quoi ? Moi en tant qu’animal ?» J’inspire profondément et me force à acquiescer en souriant.
- Entendu.
- Quels sont vos livres préférés ?
- Amour, guerre et intrusions, de Christopher Malley, réponds-je du tac au tac. Frontière, de Philippa Harolde.
Inutile d’essayer de repousser les images mentales qui déferlent à présent sur moi. Un mot ne cesse de s’écrire dans mon esprit comme pour s’y graver à tout jamais. Douleur. Ils voulaient imposer à ma mère un quatrième Protocole.
.........
.........
- Et Roméo et Juliette, de William Shakespeare, conclus-je.
Les Evaluateurs opinent du chef en notant mes réponses. Tous les élèves de troisième étudient la pièce de Shakespeare en cours de santé.
- Et pourquoi ? s’enquiert le troixième Evaluateur.
«Parce que c’est terrifiant» : c’est ce que je suis sensée répondre. Il s’agit d’une histoire édifiante nous mettant en garde contre les dangers du vieux monde, avant le remède. Mais j’ai l’impression que ma gorge a enflé, que les mots ne peuvent plus se frayer un chemin, ils y restent accrochés telles les ronces qui se prennent dans mes vêtements lorsque je cours dans les champs. J’ai soudain l’impression d’entendre le grondement sourd de l’océan, son chuchotis distant et insistant, et j’imagine ce qu’a dû ressentir ma mère lorsque l’eau, aussi pesante qu’une chappe de béton, s’est refermée sur elle. Voilà pourquoi la réponse qui m’échappe est la suivante :
- Parce que c’est beau.
Aussitôt les quatre visages se redressent pour m’observer, comme des marionnettes reliées par un même fil.
- Beau ? répète l’Evaluatrice en fronçant le nez.
Il y a une tension à couper au couteau dans la pièce, et je me rends compte que j’ai commis une très, très grosse erreur. L’Evaluateur à lunettes se penche en avant.
- Le choix de ce terme est intéressant. Très intéressant.
Cette fois, lorsque ses lèvres découvrent ses dents, celles-ci m’évoquent davantage les canines courbes d’un chien.
- Peut-être trouvez-vous une forme de beauté à la souffrance ? Peut-être appréciez-vous la violence ?
- Non. Non, pas du tout.
J’essaie de me concentrer, mais le grondement de l’océan envahit ma tête. Il est plus fort de seconde en seconde. A présent il me semble entendre des hurlements, plus faibles, comme si l’écho de ceux de ma mère me parvenait après toutes ces années.
- Je voulais dire... C’est tellement triste d’une certaine façon...
Je me débats pour me maintenir à la surface, mais je sombre maintenant, engloutie par la lumière blanche et le bourdonnement... Le sacrifice. J’aimerai leur parler de la beauté du sacrifice, mais les mots ne sortent pas.
- Avançons, reprend froidement l’Evaluatrice, qui s’est départie du ton amical avec lequel elle m’avait proposé à boire. Nous allons vous poser une question simple. Quelle est votre couleur préférée ?
Une partie de mon cerveau, celle où siègent la rationalité, l’instruction et la logique, me hurle : «Bleu ! Réponds bleu !» Mais cette autre partie de moi, plus ancienne, que me rapportent les vagues assourdissantes, l’emporte.
- Gris, bredouillé-je.
- Gris ? s’exclame le quatrième Evaluateur.
Mon estomac se décroche. Je sais que je m’enfonce, je peux pour ainsi dire voir mes notes dégringoler sous mes yeux. Mais il est trop tard. Je suis fichue, à cause de ce grondement*, qui s’amplifie encore et encore, de ce piétinement sourd qui m’interdit toute concentration. Je bafouille malgré tout une explication :
- Pas vraiment gris. Juste avant le lever du soleil, il y a un moment où le ciel est de cette couleur pâle indéfinissable, une sorte de gris ou de blanc, et je l’ai toujours aimée parce qu’elle me fait penser à ce qu’on éprouve en attendant un événement heureux.
Ils ne m’écoutent plus. Ils ont tous le regard rivé sur un point derrière moi, le cou dévissé, l’air déconcerté, comme pour tenter d’isoler un mot familier au milieu d’un discours tenu dans une langue étrangère.

* grondement = troupeau de vaches qui déboulent !
Delirium - Lauren Oliver

https://www.youtube.com/watch?v=SH3xK7YxuKE
(La grande marée - Bernard Lavilliers)

Parce que c'est beau

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LA BEAUTE

- Parce que c’est beau.
Aussitôt les quatre visages se redressent pour m’observer, comme des marionnettes reliées par un même fil.
- Beau ? répète l’Evaluatrice en fronçant le nez.
Il y a une tension à couper au couteau dans la pièce, et je me rends compte que j’ai commis une très, très grosse erreur. L’Evaluateur à lunettes se penche en avant.
- Le choix de ce terme est intéressant. Très intéressant.
Cette fois, lorsque ses lèvres découvrent ses dents, celles-ci m’évoquent davantage les canines courbes d’un chien.

Delirium - Lauren Oliver

mercredi 13 février 2019

Anges au plafond


(Chamonix)

Hors de moi

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Je rentre chez moi, hors de moi.
Je suis encore passée au bon endroit au bon moment, retardée, pour me trouver en voiture devant la sortie d’un collège…
Et là un élève probablement en 6 ème se faisait harceler, bousculer par 4 ou 5 autres élèves. Je les ai même vus jeter son portable par terre. Probablement écran cassé après ça.
Je m’arrête devant eux ; leur dit qu’ils maltraitent ce jeune et leur demande pourquoi.
L’un d’eux me répond qu’il s’agit d’un jeu… Sans blague…Je rajoute qu’ils sont en train de pratiquer la torture.
Réponse : « Nous on est arabes ! »
Qu’est ce que tu veux que ça me fasse de le savoir petit con. D’ailleurs ils étaient tous arabes.
Klaxons à n’en plus finir derrière moi parce que j’empêchais les voitures d’avancer… On veut passer sans se poser de questions, c’est tellement plus facile.
Ecoeurée…
Je n’ai pas pensé à demander le nom de la victime. Victime choisie parce qu'obèse je suppose.
J'ai même entendu un <raciste> qui devait m'être adressé...
Vous voulez une loupe ?
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Merci à Mathilde Monnet d'avoir témoigné dans son livre "Mathilde Monnet, 14 ans harcelée" Elle y décrit exactement ce qu'ils appellent un jeu...
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https://creapills.com/harcelement-scolaire-whopper-burger-king-20171019
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(Ci-dessus la prise de photo qui m'a retardée)

Histoire d'autorisation

Photo


Histoire d'autorisation
Photographie à 150 euros
Une petite ville en périphérie, presque dans la campagne. Une façade repérée de loin sur les hauteurs que je souhaitais photographier de plus près.
Je retrouve le lieu, descends de voiture devant cette façade. Et là un type, un cerbère surveillant et empêchant l'entrée des voitures sur les parkings me demande 150 euros pour faire une photo... sur un ton mi figue mi raisin... empêchant toute intrusion plus en avant dans ces îlots de petits immeubles.
Montrer patte blanche, dire chez qui l'on se rend, pour quelle raison...
Visiblement les "étrangers" n'y sont pas les bienvenus.
Bienvenue dans la réalité.
Je me suis passée de son autorisation pour réaliser ma photo.
La photo de la 2ème façade a été faite de loin, c'était plus prudent...
Des têtes commençaient à sortir de certaines fenêtres, visiblement je dérangeais la vie tranquille et sereine des petits immeubles dans la prairie...


Opération Market Garden

Photo
https://www.historytrips.eu/images/arnhem/arnhem_bridge01.jpg
Market garden
https://hyrumheroes.files.wordpress.com/2016/02/aerial_view_of_the_bridge_across_the_waal_river.jpg?w=750

We are now year 2017, soon year 2018. It is almost Christmas. Everything goes well now. You are expected on the other side. Thanks to you
https://www.youtube.com/watch?v=2bjk26RwjyU
(photo prise au musée d'art moderne et contemporain de Saint-Etienne)

mardi 12 février 2019

Parfumé à l'eau de Cologne bon marché

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"En fin de matinée le capitaine Rodriguez de Las Cruses nous fit appeler et nous reçut en privé dans son bureau. Rasé de près et parfumé à l'eau de Cologne bon marché, il ressemblait dans son uniforme rutilant à un acteur de cinéma mexicain. Ses yeux en fentes sombres et son rire carnassier lui avait valu le surnom de Guépard. Il était clair qu'il n'hésitait pas à piétiner tout ce qui avait l'audace de se mettre en travers de sa route.
Il me débita les compliments d'usage et me salua d'un claquement de talons avant d'entraîner don José dans une pièce annexe pour discuter affaires. Quelques secondes plus tard, des jurons fusaient à travers la cloison. Je préférai m'éclipser et rejoindre la grande salle où régnait à présent un ordre parfait d'une froideur anonyme. Comme je m'approchais d'une fenêtre pour regarder des prisonniers enchaînés par la ceinture, que des soldats en arme conduisaient à l’extérieur de la caserne, un vieux caporal indien vint me souffler qu'il vaudrait mieux pour moi attendre le capitaine dans la salle à manger, car sa dispute avec don José pourrait durer un bon moment. Il s'offrit à m'y conduire et je le suivis à travers de longs couloirs. Je demandai au vieil homme où l'on menait ces prisonniers que je venais d'apercevoir".

Il me répondit qu'ils avaient beaucoup de chance de pouvoir sortir respirer au soleil et qu'ils allaient couper dans la forêt du bois précieux qui serait ramassé plus tard, en période de décrue de la rivière, par des petites camionnettes, au profit de l'Etat. Je me pris à penser que ces affaires d'Etat n'étaient sans doute que celles du capitaine, mais j'eus la prudence de la boucler. Cependant, comme l'Indien semblait avoir une propension à parler, j'essayai de lui tirer un peu les vers du nez. Les lourdes chaînes qui entravaient les prisonniers m'avaient considérablement troublé et, persuadé que la seule loi de Rodrigues de Las Cruses servait ici de règlement, je le questionnai sur la manière dont ces hommes vivaient.

- Sous nos pieds, me dit-il, s'étendent des souterrains remplis d'eau croupie et de pourriture où n'entre jamais la lumière. C'est l'enfer des hommes oubliés. Généraux dégradés, assassins, voleurs ou fous, innocents ou coupables, ils sont pour la plupart ravagés par les fièvres ou la tuberculose, et s'accrochent désespérément à la vie en attendant un hypothétique jugement. Comme nourriture, ils ne reçoivent qu'une ration de haricots rouges matin et soir, apportée par les soldats qui purgent une punition. Une fois par mois, le sergent-major permet à quelques-uns de sortir une heure ou deux, par groupe de cinq, pour tripoter un peu les Indiennes. Cela dépend de la mordida
- Qu'est-ce que la mordida ? osai-je demander, épouvanté.
- Ce que le prisonnier peut offrir au sergent, soit en argent, soit en services particuliers. Et quand quelqu'un est trop emmerdant, il meurt, soit-disant par accident, le médecin légiste délivre un certificat de décès, et le cadavre est abandonné aux fauves dans la forêt.
J'étais sidéré. Dans ma naïveté, je croyais que de telles horreurs n'appartenaient qu'au passé ou à la littérature. Je le dis au vieux soldat.
- L'enfer n'est pas une création de Dieu mais de l'homme, me répondit-il. Il est ici sur terre, dans ces labyrinthes immondes. Mais je vous en conjure, si vous ne voulez pas ma mort ni la vôtre, gardez cela pour vous. D'autres avant vous ont essayé en vain que cela change."

Le secret de l'Aigle - Luis Ansa, Henri Gougaud

Le puma de Sechura

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L'éducation de l'âme



« Les seuls éducateurs digne de ce nom, mais combien y en a-t-il ? Ce sont ceux pour qui compte ce que Barrès appelait l’éducation de l’âme. Pour ceux-là, ce qui importe, dans cette jeune vie qui leur est confiée, ce n’est pas seulement la façade qui ouvre sur le monde, mais les dispositions intérieures, ce qui, dans une destinée, n’est connu que de la conscience et de Dieu. Et, ici il n’y a pas à établir de différence entre garçons et filles. Aussi lourde que soit l’hérédité d’un enfant, aussi redoutables que soient les passions dont il apportait le germe en naissant, nous avons fait pour lui tout le possible, si nous avons réussi à le persuader, selon la raison, qu’une seule chose compte en ce monde: c’est de se perfectionner, c’est le perfectionnement intérieur. Introduire dans une jeune âme cette idée que cela seul importe qui est de bien vivre, non pas seulement aux yeux des autres, mais à ses propres yeux et devant ce regard intérieur qui voit l’envers de nos actes et qui connaît nos plus secrètes pensées. »

François Mauriac, « Essais, le Romancier et ses personnages, II », 1933

Se confier à son fils

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Alvaro Nunez Cabeza de Vaca se confie par écrit à son fils :

A vous donc mon enfant qui m'êtes plus précieux qu'un roi, le véritable récit de mes tribulations dans ce pays sans chemins où votre mère a vu le jour. A quel autre vivant pourrais-je confier ces malheurs ou ces bontés qui ont si rudement nourri mon âme ? A Dieu ? Sa figure m'est trop lointaine. Vous, je vous entends, je vous respire, et vous me regardez quand je vous prends aux épaules. Je suis fier de vos yeux, ils savent rire droit malgré votre jeune âge. Il me plaît à penser que vous ferez bon usage de mon histoire. Vous y apprendrez qui je fus, ce qui est peu, et vous y trouverez ce que j'ai récolté dans le champs de la vie. Est-ce beaucoup ? Question pour le moins superflue. Je n'ai rien d'autre à vous offrir. En vérité, si je vous écris ainsi, c'est dans le pur et simple espoir que mon héritage vous sera nourricier et qu'il vous donnera le désir et la force de découvrir des horizons que votre père n'a su voir.
Ma fenêtre, ce matin, est grande ouverte sur la mer. Dans notre figuier familier dont je n'aperçois qu'une fine branche, des oiseaux vont et viennent. Leurs pépiements se mêlent au crissement de ma plume, à votre voix studieuse dans la pénombre de la chambre voisine, à vos soupirs comiquement exténués. Tandis que je vous écris vous apprenez à lire, et vous n'aimez pas cela. Votre mère est auprès de vous, je l'entends qui vous encourage et vous remet obstinément à votre labeur. Je n'ose parler d'elle à l'enfant que vous êtes. Mais au jeune homme que j'imagine penché sur ces lignes malhabiles, il me suffit de dire ceci : Dieu veuille vous conduire un jour à l'épouse qui s'agenouillera devant vous à l'instant même où, par amour, vous tomberez à genoux devant elle.
Oui, certes, j'éprouve quelque gêne. L'aveu des sentiments me fut toujours incommode. Il est vrai que je fus longtemps un homme au coeur inhabité, sauf par quelques frères d'armes, des rêves turbulents et des espérances naïves, quoique hautes. A vingt ans, je ne connaissais que le métier militaire. Il me conduisit à Ravenne où, pour le plaisir et avec la gloire de mon roi, j'ai troué des corps sans visage avec une fureur d'affamé que mes compagnons admiraient. Je croyais en ces temps que tout, même le Ciel, devait être conquis par force et par courage. Les femmes ne m'étaient que des haltes d'auberges. Leur conversation m'ennuyait. Je ne savais comment répondre à leurs malicieuses questions, à leurs sous-entendus, leurs rire. Mon oncle m'avait appris à me battre, mon père à rêver de lui, ma mère à redouter l'enfer et ma nourrice à être aimé par droit d'enfance et de noblesse. Je ne connaissais du monde, outre le méchant plaisir des batailles, que les couleurs des saisons, les cloches des églises, mes chiens et quelques amicales maisons. En compagnie je parlais haut, je m'efforçais d'être joyeux, je raillais volontiers le monde et, quand je me retrouvais seul, je me sentais rogneux, à l'étroit dans mon être. Il m'arrivait d'écrire à Dieu, après quelque ivresse brutale, des lettres aussitôt déchirées de peur qu'elles ne soient découvertes. Je me plaignais de Son indifférence à mon égard, j'exigeais qu'Il me parle, qu'Il s'occupe de moi. J'étais un Nunez, un Cabeza de Vaca, mais l'ambition qui m'occupait était infiniment plus haute que celle de mes orgueuilleux ancêtres. Eux n'avaient jamais désiré que l'estime de leur roi. Moi, c'était celle de l'Eternel que je voulais.
Cabeza de Vaca, je n'aimais pas cet inélégant sobriquet.
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Aujourd'hui, me retournant sur ma route, je m'émerveille d'être parvenu jusqu'à vous par des chemins tant imprévisibles que l'envie me prend d'en rire comme un enfant. Je me demande quel dieu saugrenu trame nos vies comme elles sont faîtes. Le hasard ? Non, il ne me paraît pas assez ingénieux. Quelqu'un assurément nous conduit, aveugles que nous sommes, où lui seul sait que nous devons aller. Nous ne sommes ni assez clairvoyants ni assez follement rêveurs pour percevoir le sens de nos destinées. Nous avons beau imaginer, sur nos routes futures, tous les voyages possibles, nous oublions toujours le seul qui nous viendra dans la lumière joyeuse des jours.
Allons, il est grand temps de vous conter mes aventures. Comme le disait ma nourrice quand elle entrait dans ses histoires, ouvrez grands vos yeux qui écoutent et vos oreilles qui regardent. Ici commence la périlleuse errance d'Alvaro Nunez de Vaca votre père qui s'en fut conquérant et revint désarmé.

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"L'homme qui voulait voir Mahona" - Henri Gougaud
PS : Alvar Nunez Cabeza de Vaca a réellement existé et voici son portrait :

https://www.portalsolidario.net/ocio/images/biografias/images/1101737502.jpg

http://s1.thingpic.com/images/G4/yF4ghuk37YiMJs9okD4UbYuU.jpeg


Qui est Mahona ?

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-Qui est Mahona ?
Il répondit :
-L'Esprit de vie. Les aigles, les herbes, les gens, tous les êtres sont ses enfants.
-Est-il éternel ?
-Sûrement. Du moins tant que je suis vivant.
Et il repartit d'un grand rire. Je me renfrognai. Il s'en aperçut.
-Si tu es sombre, me dit-il, tu obscurcis aussi le monde, et tu ne peux rien voir de Lui.
-Et que vois-tu, toi ?
-Mille choses, des signes, de petites pluies quand il fait soleil sur les têtes.

L'homme qui voulait voir Mahona - Henri Gougaud

On pilla, on brûla jusqu'au moindre village


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Une troupe de gens d'Espagne, en l'an 1509, s'en vint sur l'île de San Juan et celle de la Jamaïque, des merveilles de terre où n'étaient partout que des vergers de fruits si délicieux qu'ils paraissaient mûris dans la main du bon Dieu. Presque un million d'Indiens vivaient là sans souci. Il n'en reste aujourd'hui que quatre ou cinq centaines, tous esclaves des conquérants. On pilla, on brûla jusqu'au moindre village. Aucun ne demeura debout. Des mois durant, les chiens furent nourris de nouveaux-nés et d'enfants qui trottaient à peine. Les femmes trop jeunes ou trop vieilles pour être servantes ou putains furent embrochées et rôties comme du gibier de forêt, et l'on força les hommes à trimer jour et nuit au fond des mines d'or. Pas un ne survécut. Ces bateaux de trésors qui éblouissent la cour du roi d'Espagne sont pleins, en vérité, de fantômes d'Indiens, de leurs larmes, de leur sang, de leur haine. Tous sont morts sans la foi que nous leur apportions.
L'homme qui voulait voir Mahona - Henri Gougaud

La magie de la pleine lune