vendredi 30 août 2019

Un serment d'Hippocrate amélioré

Suite de la lettre de Ibn Maïmoun à Averroès 

Je me permets de te soumettre un texte sous forme de prière. Elle devrait être prononcée par tous les médecins en remplacement du serment d'Hippocrate, qui me parait incomplet. Tu me feras part de ton avis.
"Mon Dieu, remplis mon âme d'amour pour l'art médical et pour toutes les créatures. N'admets pas que la soif du gain et la recherche de la gloire m'influencent dans l'exercice de mon art, car les ennemis de la vérité et de l'amour des hommes pourraient facilement m'abuser et m'éloigner du noble devoir de faire du bien à Tes enfants. Soutiens la force de mon cœur pour qu'il soit toujours prêt à servir le pauvre et le riche, l'ami et l'ennemi, le bon et le mauvais. Fais que je ne voie que l'Homme dans celui qui souffre. Fais que mes malades aient confiance en moi et en mon art, qu'ils suivent mes conseils et mes prescriptions. Éloigne de leur lit l'armée des parents et les gardes qui savent toujours tout, car c'est une engeance dangereuse qui, par vanité, fait échouer les meilleures intentions de l'art et conduit souvent les créatures à la mort. Je peux aujourd'hui découvrir dans mon savoir des choses que je ne soupçonnais pas hier, car l'art est grand, mais l'esprit de l'homme pénètre tout."
Shalom, mon ami, mon frère. Ne nous perdons pas.

Extrait d'AVERROES ou le secrétaire du diable - Gilbert Sinoué

mardi 27 août 2019

Le guérisseur

Lettre de Ibn Maïmoun à Averroès         
                           Fostat, 4 Tishiri 4957 (5 septembre 1196)
Pardonne mon long silence. Mais mon emploi du temps ne m'accorde que peu de répit. Comme je te l'avais indiqué dans une précédente missive, je vis à Fostat, tandis que le sultan réside à Al-Qahira (Le Caire). Il me faut donc deux fois la distance permise un jour de shabbat (près d'un mille et demi - environ 2,5 kms) pour me déplacer d'un lieu à l'autre. Je présume que tu as été informé de la mort de celui-ci qui fut pendant des années mon illustre patient : Saladin. Il est décédé il y a trois ans, à Damas. Ce fut un grand homme. Son fils l'a remplacé. Chaque matin, je dois me rendre chez lui à la première heure : et lorsque l'un de ses enfants ou l'une de ses concubines est malade, je ne puis quitter Al-Qahira, car je dois assurer une présence au palais durant une grande partie de la journée. Il arrive aussi fréquemment que des officiers royaux soient indisposés, rendant ma présence nécessaire à leur chevet. C'est ainsi qu'en principe je suis à Al-Qahira au lever du jour et ne puis rentrer à Fostat qu'au courant de l'après-midi, si toutefois rien d'extraordinaire ne se produit. A mon arrivée, la faim me tenaille tandis que mon antichambre déborde de gens venus me consulter : juifs et gentils, amis et ennemis, hommes importants, simples paysans, bref une grande multitude.
Juste après avoir mis pied à terre, je cours me laver les mains et je demande aussitôt à mes patients de me permettre de prendre une légère collation qui constitue, en fait, mon unique repas de la journée. Je commence ensuite à les examiner et à leur prescrire les aliments qui leur seront profitables. Mes malades entrent et sortent de chez moi jusqu'à la tombée de la nuit, et parfois même, je te l'assure, jusqu'à deux heures, voire trois heures du matin. Je continue de les examiner et de leur faire des prescriptions après m'être allongé en raison de ma grande fatigue ; et lorsqu'il fait nuit noire, je puis à peine parler.
C'est pour cette raison qu'aucun de nos coreligionnaires ne peut s'entretenir avec moi un jour autre que le shabbat. En ce jour, toute la congrégation se rend chez moi après l'office du matin afin que je les instruise de leurs devoirs pour la semaine qui s'annonce ; nous étudions ensuite jusqu'à midi, heure à laquelle ils me quittent.Toutefois, il y a quelques mois, j'ai tout de même réussi à terminer l'écriture du livre que je t'envoie : Le Guide des égarés. Je l'ai rédigé à l'intention des juifs perplexes, qui sont écartelés entre les textes sacrés et la rationalité philosophique. Tu n'auras aucun soucis pour le lire puisqu'il est écrit dans ta langue. Comme tu pourras le constater, je me suis beaucoup appuyé sur notre inspirateur commun, Aristote. Je suis un peu frustré de n'avoir eu accès à ton Traité de l'âme qu'une fois mon Guide publié. Mais je suis en train de le lire, et certains passage sont jumeaux de ma pensée.

Extrait d'AVERROES ou le secretaire du diable - Gilbert Sinoué

jeudi 22 août 2019

Je voulais boire de l'eau de source

Devant moi se tenait un personnage replet. 
Je lui ai chuchoté :
- De l'eau.
- Quel cru ?
- Peu importe. De l'eau.
- Peu importe aussi le prix ?
Je sortis une quinzaine de dinars.
- Cela suffira ?
- Pour commencer, je vous informe que cette eau est offerte par la maison, elle ne vous coûtera donc aucun dinar.
Le personnage saisit un gobelet, se dirigea vers l’une des sources jaillissant du sol.
- Tiens. C’est de l'eau de source. elle est excellente. Casher bien entendu.
- Tu veux dire halal ? Tu veux dire haram ?
- Tu sais faire la différence ?
J’éludai la question et portai le gobelet à mes lèvres.
Deux voix soufflaient à mon oreille. L’une me disait : «Ô les croyants ! Cette eau est une abomination !» L’autre : «S’il faut mourir demain, tu verras qui de nous deux aura le plus soif !»
J’ai bu.
J’ai bu encore.
J’ai bu jusqu’à ce que la vie coule dans mes veines. 

Texte inspiré d'AVERROES ou le secrétaire du diable - Gilbert Sinoué





mercredi 21 août 2019

Averroès, sors de cette bouteille ! 😇

Insaisissable Averroès
Que savons nous ainsi de son apparence physique ?
Presque rien : dans le panégyrique que le poète Ibn Quzmân adresse à un Averroès encore jeune homme, il le dit "beau" ; mais dans quelle mesure ne s'agit-il pas là seulement d'une formule obligée ? De la même façon, une légende le dit gras, bien qu'il ne prît, dit-on, qu'un repas par jour. C'est seulement par son témoignage incident, dans son traité médical, que l'on sait qu'il souffre d'arthrite chronique aux mains et aux pieds, suite à un mauvais traitement de fièvres qui entraînaient l'inflammation des membres.
Barbe et turban
La plupart des portraits d'Averroès qui circulent en Europe chrétienne montrent un personnage barbu et enturbanné. Cette représentation stéréotypée est renforcée par la posture de soumission souvent attribuée à Averroès, que l'on voit parfois prosterné aux pieds de Saint Thomas d'Aquin ou de l'Eglise. Les attributs de la barbe ou du turban, que les Occidentaux assignent à tout Oriental, réel ou assimilé (comme le juif), méritent quelques remarques. La barbe est portée par les hommes adultes, mais dans certains cas elle peut être taillée, voire partiellement épilée. Les "raffinés" la teignent, depuis l'exemple donné, au début du IXe siècle, par le célèbre esthète Ziriâb. Mais porter la barbe entière et sans soin est une marque de piété. Aussi, paradoxalement, lorsque les peintres du Moyen Âge ou de la Renaissance représentent un Averroès abondamment barbu, croyant l'assimiler à un Platon dont seul le vêtement le distinguerait, ils soulignent en fait, involontairement, son caractère de bon musulman.
Le turban, lui, n'est pas seulement un couvre-chef ; il est aussi un symbole et une marque de prestige. Al Andalus n'est pas allé au point où iront les Turcs, plus tard, avec les gigantesques turbans dont sont affublés les notables, sculptés jusque sur la stèle de leur tombe, mais le pays a adopté cette mode sous l'influence berbère. Le turban n'a pourtant pas détrôné la calotte, généralement utilisée auparavant. Si Averroès, en tant que magistrat, appartient à la catégorie sociale qui en est coiffée en toute activité publique, y compris dans la rue, s'imaginer un homme enturbanné à sa table de travail est un non sens.
D'une façon générale, on sait qu'Averroès ne se souciait guère de sa mise. S'il relève avec satisfaction qu'un prince, lorsqu'il lui a été présenté et qu'il lui a montré ce dont il était capable, l'a gratifié d'une robe d'honneur, c'est le geste plus que l'objet qui l’intéresse. Un témoin de ses dernières années racontera qu'il "portait des vêtements élimés", alors même qu'il occupait de très hautes fonctions.

Extrait d' AVERROES Les ambitions d'un intellectuel musulman - Dominique Urvoy


lundi 19 août 2019

L'amour non partagé

Je ne sais pas si le diable m'a suivi. Mais l'enfer, lui, m'attendait.
Comment pouvais-je avoir été si jeune un instant plus tôt et si vieux tout à coup ? Toute cette douleur qui montait des profondeurs de mon être, et mon sang qui se transformait en lave et embrasait mes veines. Je repensais à la mise en garde de ma mère : "L'amour non partagé rend fou." Je repensais aussi au conte de Qaïss et Leila, à la passion qui dévora Ibn Zeydoun. J'étais devenu le réceptacle de toutes les désespérances amoureuses ; celles d'hier et de demain, de tous les hommes et de toutes les femmes.
Après avoir erré dans Cordoue jusqu’au crépuscule, j’ai traversé Al-Kasaba et suis revenu sur mes pas. Je sentais bien le regard méfiant des gens ; je devais ressembler à l’un de ses majnouns, ces fous qui, par leurs gémissements et leurs visages défigurés, font peur aux enfants. Mille idées confuses bataillaient dans mon cerveau sans aucun espoir que l’une d’entre elles l’emportât sur les autres. Et il y avait ce parfum d’ambre et ce goût d’orange qui obsédaient mes sens.
Soudain je me suis retrouvé dans le quartier juif, devant la porte de l’une de ces khammaras dont parlait Abubacer. 
J’entends dire que les amants du vin seront damnés. Il n’y a pas de vérités, mais des mensonges évidents. Si les amants du vin et de l’amour vont en Enfer, alors, le Paradis est nécessairement vide.
Je dus déclamer ce quatrain de Khayyâm en franchissant le seuil de ce lieu de perdition. De toute façon, personne n’aurait pu m’entendre, tant à l’intérieur on parlait et riait fort. Assis dans un coin, un jeune homme aux traits fins grattait les cordes d’un ou’d. Peut-être était-il l’un de ces «efféminés professionnels» qui vendent leurs faveurs, ce qui ne m’eût pas étonné. Derrière le comptoir se tenait un personnage replet. Son visage avenant contrastait avec le portrait que je me faisais jusque-là des khammars. Je lui ai chuchoté :
- Du vin.
- Quel cru ?
- Peu importe. Du vin.
- Peu importe aussi le prix ?
Je sortis une quinzaine de dinars.
- Cela suffira ?
- Pour commencer, deux feront l’affaire.
Le khammar saisit un gobelet, se dirigea vers l’un des fûts appuyés contre un mur et revint vers le comptoir.
- Tiens. C’est du minorque. Il est excellent. Kasher bien entendu.
- Tu veux dire hallal ?
- Tu sais faire la différence ?
J’éludai la question et portai le gobelet à mes lèvres.
Deux voix soufflaient à mon oreille. L’une me disait : «Ô les croyants ! Le vin est une abomination !» L’autre : «S’il faut mourir demain, tu verras qui de nous deux aura le plus soif !»
J’ai bu.
J’ai bu encore.
J’ai bu jusqu’à noyer mon cerveau, que des nefs invisibles y tournent, tournent ; que des djinns dansent sous mes yeux et tourbillonnent.
J’ai bu jusqu’à ce que la mort coule dans mes veines. Jusqu’à me convaincre que ma disparition entraînerait celle de tous les hommes et de toutes les femmes.
Et celle de Lobna.
Quand les premiers feux de l’aube embrasèrent la ville et que l’appel à la prière retentit, je me suis écroulé et un voile noir m’enveloppa.
                                                           *
A quel moment ai-je entendu la voix de mon père ? Quel jour ?
Il me souvient seulement que, lorsque j’ai recouvré la vue, il était debout, près de moi. Mais aussi ma mère ; Djibril, mon frère, et mes deux sœurs, Mariam et Malika. Tous formaient un demi-cercle au pied de mon lit et portaient sur leur visage l’expression qu’ont les familles au chevet des agonisants.
Constatant que je revenais à la vie, ma mère m’a pris la main, qu’elle a couverte de baisers.
Mon père, lui, se contentait de me fixer en silence.
J’ai croisé son regard. 
Il y brillait les flammes de l’Enfer.

Extrait d'AVERROES ou le secrétaire du diable - Gilbert Sinoué

mercredi 14 août 2019

La terre repose sur l'une des cornes d'un taureau

Averroès se souvient d'un tremblement de terre :
"Je me suis glissé à mon tour près des miens et nous avons attendu, immobiles, glacés de terreur. Je me suis souvenu à ce moment d'un vieux conte persan qui disait que la Terre reposait sur l'une des cornes d'un taureau, quelque part dans l'univers, et que, lorsque l'animal jugeait qu'il y avait trop d'injustices parmi les hommes, il se mettait en colère et balançait la planète d'une corne à l'autre.
Finalement, il n'y eut pas de troisième secousse. J'en ai induit que la fureur du taureau était retombée."

Extrait de AVERROES ou le secrétaire du diable - Gilbert Sinoué
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LE TAUREAU TRANSPIRE PEU DONC SE FATIGUE RAPIDEMENT

"Mais il y a une expression faciale qui peut être observée chez tous les taureaux au cours des corridas, qui indique une souffrance physique. Vers la fin de la corrida, dans le troisième tercio, on peut voir le taureau la gueule béante et la langue pendante. C’est l’expression faciale de l’épuisement qui montre que la physiologie de l’animal a des difficultés pour garder la température de son corps suffisamment froide afin d’éviter qu’il s’effondre. La famille des bovidés à laquelle appartiennent les taureaux n’ont pas vraiment de mécanisme très efficace pour réduire la température du corps quand il est en hyperthermie, ils ne transpirent pas beaucoup comme les chevaux et n’ont pas une très longue langue pour évacuer la chaleur comme les canidés (chiens ou loups). En d’autres termes, si on considère leur masse corporelle et leurs mécanismes de contrôle de la température, les bovidés s’épuisent très rapidement. Ce handicap est utilisé par les prédateurs naturels tels que les loups qui ont une endurance physique bien plus grande, et dans notre cas les toreros qui utilisent les deux premiers tercios pour épuiser le taureau."
Jordi Casamitjana
Ethologue
Animal Protection Consultancy

mardi 13 août 2019

Une marque de noblesse

Vers 1117, l'émir qui régnait à ce moment sur Al-Andalus nomma mon grand-père* juge suprême. Soit chef hiérarchique des cadis la la province. Le cadi des cadis. Fonction des plus honorifiques qui soit. Le détenteur de ce titre peut nommer les juges, les contrôler, voire les révoquer.
Mon grand-père eut à s'exprimer sur des sujets divers, comme le port du voile. En effet, chez les Almoravides, les hommes continuaient de porter, comme naguère au Sahara, une longue pièce d'étoffe sombre qui cachait le bas du visage, alors que les femmes - survivance d'un temps où chez les Berbères la mère détenait une grande autorité - marchaient le visage découvert et jouissaient d'une totale liberté d'allure. De nombreux habitants d'Al-Andalus estimaient qu'il devait en être ainsi pour les hommes et ils manifestèrent pour que ceux-ci, à l'instar des femmes, se dévoilent.
Après mûre réflexion, mon grand-père trancha en faveur du port du voile par les hommes. Selon lui, ce port était justifié, car il représentait un signe distinctif et une marque de noblesse.

*le grand-père d'Averroès
Extrait de AVERROES ou le secrétaire du diable - Gilbert Sinoué
https://www.fayard.fr/litterature-francaise/averroes-ou-le-secretaire-du-diable-9782213685823

dimanche 11 août 2019

Chaman

Je lui demandai : "Qui es-tu ? 
Il me répondit : "Je suis Aristote"
Cela me réjouit et je lui dis :" Ô sage, je vais te questionner"
Il me dit : "Questionne"
Je lui dis : "Qu'est-ce que le bien ?"
Il me répondit : "Ce qui est bien selon la raison"
Je lui dis : "Et après ?"
Il répondit : "Ce qui est bien selon la Révélation"
Je lui dis : "Et après ?"
Il me répondit :"Ce qui est bien aux yeux de tous"
Je lui dis : "Et après ?", il me répondit "Après il n'y a pas d'après."

                                       Al Nadîm,  Kitâb al fihrist.




mercredi 7 août 2019

Les jolies choses

        Extrait du roman de Virginie Despentes - Les jolies choses

De même que la valeur de la vie n'est pas en sa surface mais dans ses profondeurs, les choses vues ne sont pas dans leur écorce mais dans leur noyau, et les hommes ne sont pas dans leur visage mais dans leur cœur.

Khalil Gibran

lundi 5 août 2019

Les belles choses : le respect des dunes

Oui, mais ils ont une petite.... !!! 


                   J'ai mal à mes racines...
                   Et pourtant il s'agit d'un parking avec des places libres goudronnées à 50 mètres maximum


vendredi 2 août 2019

Me voici rassurée ! 😊



Un café sous le pin d'Alep ?

Sommes bien arrivés et installés .. Petite balade avec Minou.... Un vrai foufou... Merci encore.
(Message des amis qui s'occupent d'Octave et profitent de ma forêt)
😊😊

La magie de la pleine lune