jeudi 14 février 2019

Radium resplendissant

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Le 26 décembre 1898, ils informèrent l'Académie des sciences de leur trouvaille et devinrent aussitôt assez célèbres, mais rien de comparable avec ce qui viendrait après le Nobel. Ce radium resplendissant et puissant enflamma l'imagination des êtres humains : c'était le principe même de la vie, une pincée de l'énergie du cosmos, le feu des dieux apporté sur la Terre par ces nouveaux Prométhée qu'étaient les époux Curie. Des scientifiques du monde entier se mirent immédiatement à rechercher les applications médicales de leur découverte, comme, par exemple, soigner les tumeurs cancéreuses (on utilise aujourd'hui encore la radiothérapie dans le même but, sauf que la source radioactive n'est plus le radium mais le cobalt), et l'enthousiasme atteignit des niveaux si élevés que ce nouvel élément commença à être dangereusement et inconsciemment utilisé pour tout, comme s'il s'agissait d'un baume magique.

Par exemple, on rajoute du radium dans les cosmétiques : dans des crèmes pour le visage qui vous gardaient soi-disant éternellement jeunes, dans des rouges à lèvres, dans des lotions pour renforcer et embellir la chevelure, dans des dentifrices pour rendre les dents très blanches et foudroyer les caries, dans des onguents miraculeux contre la cellulite. Une réclame de la crème Alpha-Radium disait : "La radioactivité est un élément essentiel pour garder les cellules de la peau saines." En matière de beauté, les femmes ont toujours fait des horreurs, comme utiliser pendant des siècles du carbonate de plomb pour se blanchir la figure, ou du rouge à lèvres confectionné avec du sulfure de plomb, de la chaux vive et de l'eau, le tout étant terriblement toxique et à la longue mortel. Entre autres effets secondaires, le plomb faisait tomber les cheveux : c'est pour ça qu'Elisabeth I d'Angleterre, qui s'éclaircissait le teint avec un emplâtre de plomb au vinaigre, finit par présenter cet aspect choquant et cette calvitie épouvantable.

Mais le délire radioactif s'étendait à bien d'autres domaines que ceux de l'esthétique pure. S'ils se mettaient un sac avec du radium sur le scrotum, les impuissants guérissaient. Si vous attachiez ce sac à votre taille, vous n'aviez plus d'arthrite. Les bains radioactifs vous rendaient votre vigueur, et un peu de radium soignait des maux tels que les névralgies ou les rhumes. Sarah Dry ajoute qu'on avait même fabriqué de la laine radioactive pour faire des habits pour bébé : "En tricotant les habits de votre bébé, utilisez la laine O Radium, une merveilleuse source de chaleur et d'énergie vitale, qui ne rétrécit pas et ne feutre pas." Lire une chose pareille fait évidemment froid dans le dos.

Le radium était bien sûr présent en quantités infinitésimales dans toutes ces préparations, parce que c'était une substance très difficile à obtenir et donc très chère. Mais, à ces doses minimales, le niveau de radiation était très supérieur à ce qui est admis aujourd'hui. Cette frénésie du marché à tirer un profit économique de la nouvelle mine d'or est une chose connue et répugnante, surtout quand on pense que la laine toxique a probablement été commercialisée comme un produit pour bébé précisément parce qu'elle était chère, étant donné que nous sommes prêts à faire plus de sacrifices pour nos enfants (pensez aux familles à maigres ressources, pensez à un enfant à la santé délicate, pensez à des parents qui ne peuvent pas payer de bons docteurs, mais qui, en faisant de gros efforts, lui achètent cette laine irradiante et soit-disant guérisseuse avec laquelle ils tricoteront pour le bébé malade un joli gilet radioactif).

Toute cette frénésie dura, aussi incroyable que ça puisse paraître, presque trois décennies : "Le monde est devenu fou avec cette histoire de radium ; il a réveillé notre crédulité exactement comme les apparitions de Lourdes avaient réveillé la crédulité des catholiques" ; écrivit Bernard Shaw, repris par Goldsmith dans son livre. Et si les gens se mirent enfin à prendre conscience des dangers de la radioactivité dans les années 30, ce fut en grande partie grâce à un incident douloureux : en 1925, un faux docteur nommé William Bailey breveta et commercialisa un produit appelé Radithor. Il consistait en une solution d'eau avec des isotopes radioactifs et soignait soi-disant la dyspepsie, l'impuissance, une tension artérielle élevée et cent cinquante autres maladies endocriniennes.
Deux ans plus tard, un millionnaire et champion de golf nommé Eben Byers commença à prendre du Radithor sur prescription médicale pour soigner une douleur chronique au bras. Apparemment, il déclara au début se sentir rajeuni (le pouvoir de la suggestion !), mais en 1932, après avoir ingurgité entre mille et mille cinq cents bouteilles de ce tonique sur cinq ans, Byers mourut physiquement détruit : anémie sévère, destruction massive des os et de la mâchoire, du crâne et du squelette en général, maigreur extrême et dysfonctionnement rénal. Un scandale éclata et les autorités prirent des mesures. Mais il est incroyable que personne n'ait réagi plus tôt : il y avait je suppose, trop d'intérêts en jeu. Ça ne vous inquiète pas de penser à ce qui pourrait être aujourd'hui notre radioactivité autorisée, quelles substances légales pourraient être en train de nous tuer stupidement .

Rosa Montero - L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir

http://www.topito.com/top-pubs-vantent-bienfaits-produits-radioactifs

https://www.dissident-media.org/infonucleaire/radieux.html

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