samedi 26 décembre 2020

jeudi 24 décembre 2020

Hériter de l'étincelle



























Extraits de Les esprits de la steppe - Corine Sombrun
*Ragchaa : la mère de la jeune chamane Enkhetuya 

 

mercredi 23 décembre 2020

Bizarre, vous avez dit bizarre ?


Ce matin nous avons trouvé Octave installé sur le toit de sa niche avec la tête recouverte de poudre jaune... Du pollen ? Non, non ! Mais une forte odeur de curcuma !  

Pour tout vous dire, hier j'ai retravaillé un dessin avec de la poudre de curcuma. J'étais à l'intérieur, et n'ai pas renversé ma poudre de curcuma.

Lorsque minou a voulu sortir à 2h30 du matin (il vous réveille, se couche sur vous, ronronne, se fait caresser puis va manger quelques croquettes pendant que son humaine attend devant la porte, ensuite il sort lorsqu'il l'a décidé !), bref à ce moment là il était noir et non jaune curcuma, j'en suis sûre et certaine ! :-)

Où a-t-il pu trouver du curcuma en pleine campagne et pendant la nuit ? !!!

Je sais que le curcuma a de nombreuses vertus thérapeutiques...

Oui, Octave et moi sommes très liés ! ;-)

Voici le dessin qui allait être retravaillé avec de la poudre de curcuma :





samedi 19 décembre 2020

Un avertissement des esprits

 Décembre 1967, région d'Ulaan Uul

Les vacances d'hiver étaient enfin arrivées. Tous les élèves rejoignaient leur famille et les "trois Tsaatans", comme on les surnommait désormais à l'école, patinaient sur la Hog gol. La surface gelée de la rivière constituait une piste idéale et Altengerel, Gandjii et Enkhetuya avaient attaché des pierres plates sous leurs semelles pour la parcourir plus vite. Il leur faudrait bien deux jours pour rejoindre la région de Helteeg uul, où se trouvaient les campements de leurs familles. Au premier confluent, ils ont pris l'affluent de gauche, dont la glace était perforée de nombreux rochers. Placée juste derrière son amie, Enkhetuya surveillait chacun de ses mouvements. Tu fais bien attention à ne pas tomber, hein ? Yeux au ciel. Tu ne vas quand même pas me le répéter toutes les cinq minutes ! Attention au rocher, là. Gandjii s'est arrêté. C'est fini toutes les deux ? Enkhetuya a baissé la tête. Il a éclaté de rire.

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Au lever du jour*, Altengerel a dit au revoir à ses camarades. Enkhetuya a eu un pincement au cœur. Vite chassé. Sa vision n'était qu'un cauchemar, elle ne devait pas s'inquiéter. Elle n'a pourtant pu s'empêcher de mettre une dernière fois son amie en garde. Tu feras bien attention à ne pas marcher sur la glace ? Et à vérifier tes semelles ? Et ne va pas marcher à flan de montagne. Tu m'agaces à la fin ! l'a rabrouée Altengerel. Gandjii cette fois l'a soutenue. Si quelque chose justifiait toutes ces mises en garde, elle n'avait qu'à le dire. Enkhetuya a baissé la tête. Incapable de révéler le motif de son inquiétude.

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Le givre de la nuit collait encore à l'herbe ce matin-là. Et le soleil était si pâle, incapable de réchauffer cet univers glacial, infini, triste. Les six jours de vacances avaient passé plus vite que le temps d'y penser et Enkhetuya n'avait pas le cœur de repartir. Son intuition lui disait que quelque chose allait changer. Que sa vie ne serait plus jamais la même. 

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Posé sur le rocher, le corbeau a levé une patte, puis l'autre. Enkhetuya s'est approchée lentement. Tu n'es pas sourd au moins ? Toujours une patte en l'air. Je voudrais être institutrice. Non ! Efface cette prière. L'intuition du matin n'avait cessé de l'obséder. Altengerel était en danger. Elle a regardé le corbeau, bec pointé vers elle. Pourrais-tu demander aux esprits si mon amie va bien ? Elle s'appelle Altengerel. Tu t'en souviendras ? Une patte en l'air. Elle a tiré le lobe de son oreille. Tu n'as pas compris ? Pas bougé. Elle a baissé la tête et passé son chemin. Le vent faisait tinter la plaine d'un son aigu. Presque métallique. Elle a fermé le col de son deel en accélérant le pas. Le corbeau ne s'était pas envolé, c'était mauvais signe. Elle a couru dans la pente. Longtemps. Puis s'est brusquement arrêtée. Idiote. Altengerel serait forcément à l'école. Elle devait lui montrer son beau billet de cent tögrik.

La division à quatre chiffres que le camarade instituteur venait d'écrire au tableau n'avait pas l'air facile. Elle s'était pourtant entraînée pendant toutes les vacances. Mais elle maîtrisait mieux les multiplications et surtout le calcul mental. Plus rapide que... Elle a secoué la tête pour chasser la pensée qui s'imposait chaque seconde un peu plus. La chaise de son amie était vide. Comme d'autres chaises, s'est-elle rassurée. A cause de l'éloignement et des conditions climatiques, il arrivait fréquemment que des élèves n'arrivent pas à rejoindre l'école à temps. Elle a copié l'opération.  Jusqu'à ce que des pas résonnent dans le couloir. Sourire. Certainement son amie. Mais la porte s'est ouverte sur le camarade directeur. La classe s'est levée.

Le visage fermé, l'homme s'est dirigé vers le camarade instituteur. Enkhetuya a senti sa gorge se serrer. Il a chuchoté quelques mots. Battement de cils. L'instituteur lui a laissé sa place. Camarades élèves... Il a éclairci sa voix. Enkhetuya s'est tassée sur sa chaise. Je suis là pour vous annoncer une triste nouvelle... Ses jambes se sont mises à trembler. La camarade Altengerel a fait une chute mortelle en glissant sur un sentier verglacé. Un bruit métallique a crevé le silence. Enketuya était tombée par terre.

Extraits de Les esprits de la steppe - Corine Sombrun

*après une nuit chez les parents d'Altengerel qui leurs ont offert l'hospitalité.




mercredi 16 décembre 2020

Un avertissement des esprits

Décembre 1967, école d'Ulaan Uul
Enkhetuya s'est réveillée en sursaut. Une image horrible. Elle a tourné la tête vers le petit lit à sa gauche. Son amie était bien là, ce n'était qu'un cauchemar. Elle a calmé sa respiration. Du moins elle l'espérait. Tout ce qu'elle y avait vu semblait tellement réel : Altengerel avait glissé sur une plaque de glace et elle n'avait pu la retenir. Enkhetuya a remonté le drap sur son visage pour cacher son inquiétude, mais la main de son amie a secoué doucement son épaule. Tu dois te lever, on va être en retard. Elle a sorti sa tête en essayant de sourire. C'est bon, je suis réveillée. Les huit autres filles étaient déjà en train de faire leur lit en silence. Et si ce n'était pas un cauchemar ? Ragchaa* lui avait parlé de ce qu'elle appelait des "prémonitions". Un avertissement des esprits. Ce rêve pouvait-il en être un ? Elle a regardé son amie, tranquillement en train de s'habiller. Ses visions avaient toujours été justes. Son cousin Balgir était bien venu la voir à l'école. Devait-elle raconter son rêve à Altengerel ? Non. Parler de ce qui pouvait arriver risquait de le faire arriver, disait Ragchaa. Et si elle se contentait de la mettre en garde ?
Altengerel enfilait déjà ses bottes. Dépêche-toi, tu n'as même pas commencé à t'habiller ! Enkhetuya a hoché la tête en fixant ses pieds. Tu as vérifié tes semelles ? Mets ton pantalon au lieu de dire des bêtises, on va voir la photo du camarade Staline ce matin. Enkhetuya a pris le vêtement rangé dans le petit casier à côté du lit. Tu as déjà vu une photo, toi ? Gandjii dit que c'est comme si la personne te regardait en vrai. On va surtout avoir une vraie punition si tu continues ! Enkhetuya a enfilé son pantalon. Message des esprits ou pas, elle allait surveiller Altengerel de près. 
Gandjii et elle l'avaient réellement aidée depuis son arrivée. Des soirées entières à lui faire répéter ses leçons. Résultat, elle avait rattrapé son retard, parlait presque parfaitement mongol, n'oubliait plus d'associer le mot "camarade" à chaque prénom, de se présenter comme une camarade élève, de dire 1948 ou 1932 au lieu de l'année du rat jaune, ou du singe noir. Elle a enfilé une botte. La plupart des autres élèves passaient pourtant leur temps à la traiter d'arriérée et à se moquer de ses doigts paralysés**. Gogui était le pire. 

Extrait de Les esprits de la steppe - Corine Sombrun
* Ragchaa : la mère chamane d'Enkhetuya
** Deux doigts gelés le jour où elle avait perdu deux rennes du troupeau et avait attendu seule dans la neige toute la nuit en espérant leur retour.


 

mardi 1 décembre 2020

Non loin de la mare aux fées...

 


                                                                 (clichés Château de By)

Un après-midi, que nous travaillions ensemble dans le grand atelier, Céline entra pour annoncer que des touristes demandaient à visiter la « galerie Rosa Bonheur ». 

— Mais il n’y a pas de galerie ici, fit la bonne artiste. Dites à ces messieurs que je n’expose pas de tableaux chez moi.

La femme de chambre disparue, Rosa Bonheur se mit à rire.

— J’y suis, dit-elle, ces gens ont vu, mentionnée dans le guide de Denecourt, une galerie ainsi nommée, et ils sont venus la chercher ici, tandis qu’elle se trouve en réalité dans la forêt. Ma galerie se compose d'un magnifique bouquet d’arbres; nous nous sommes promenées bien souvent à son ombre, sans que j’aie songé à vous dire qu'elle m’avait été consacrée par le bienfaiteur des artistes. Car ce Denecourt était un sincère ami de la nature : il a dépensé sa fortune et sa vie à faciliter l'accès de la forêt. On lui doit plus de deux cents kilomètres de routes carrossables, et, ce qui est encore plus précieux, une infinité de sentiers allant dans tous les sens, des itinéraires marqués en rouge et en bleu sur les pierres, — vous les connaissez — pour empêcher les promeneurs de s'égarer.

Du reste, je vais donner l’ordre d’atteler la voiture à deux roues, et notre promenade d’aujourd’hui, nous allons la faire autour de ma « galerie ».

Arrivée dans un vallon pittoresque, non loin de la Mare aux Fées, Rosa Bonheur leva la main vers les branches qui recouvraient notre tête : 

- Voici les arbres auxquels le bon Denecourt a donné mon nom,

dit-elle. Voyez ces feuilles, devenues lumineuses sous les derniers rayons du soleil. N'ont-elles pas la transparence des vitraux les plus magnifiques? Non, il n’y en a pas de plus splendides dans les basiliques.

Ce sont les hautes futaies comme celle-ci, où les branches s'entre- croisent, qui ont inspiré aux architectes du Moyen-Age les voûtes de leurs cathédrales. Les feuilles qui tombent en automne, la sève qui monte au printemps, n'est-ce pas, après tout, le symbole de la vie future ? Pour temples, les Druides avaient leurs forêts. C’est là aussi que se trouve le mien, et que je viens prier et remercier Dieu des bienfaits dont il m a comblée pendant toute ma carrière. La Providence m'a favorisée d’une façon spéciale : je serais bien ingrate si je ne remerciais Dieu de la vie heureuse et exceptionnelle qu'il m'a accordée, et de la protection réelle dont j'ai bénéficié et que j'attribue à l’âme de ma chère mère. Je crois en la justice de Dieu, si ce n’est pas dans ce monde, c'est dans l'autre. Je vous l’ai dit déjà bien souvent; la seule vie matérielle est peu de chose et dure bien peu de temps pour celui qui sait y reconnaître l'Esprit créateur.

On me reproche de ne pas aller à l’église ! J'ai peut-être plus de religion que ceux qui y vont tous les jours marmotter des prières dans une langue qu'ils ne comprennent pas, au lieu de faire tous leurs efforts pour mener une existence sans reproche

Je crois dans l’unité des grandes manifestations divines. Toutes les religions sont bonnes, dès lors que nous adorons l'Esprit infini dans sa création mer- veilleuse. L’Esprit créateur n’a pas voulu qu'il nous fût donné avant la mort de connaître le secret de la vie. Il a tenu à nous laisser libres de la diriger chacun selon notre conscience, mais nous ne pouvons rien affirmer sans orgueil déplacé ou imposture. L'Esprit créateur ne peut être ni conçu, ni jugé par notre humanité.

Extrait de Rosa Bonheur, sa vie, son œuvre - Klumpke Anna

(Anna Klumpke dans l'atelier de Rosa Bonheur)

(Rosa Bonheur assise sur un tronc d'arbre)


La magie de la pleine lune