dimanche 31 janvier 2021

Lune


 Bien des années ont passé. Oui. Bien des années. Mais cet enfant que je fus, il continuait de vivre en moi, ressassant ce dont il n'avait jamais pu se délivrer, et étouffant ma voix. Un jour, le besoin m'est venu de lui retirer son bâillon. Sans plus attendre, il s'est alors emparé de ma plume, de mes mots, et au long des nuits, heureux de pouvoir enfin laisser son cœur se débrider, il m'a fait revivre son histoire...

L'année de l'éveil - Charles Juliet

samedi 30 janvier 2021

Respire

(cliché juillet 2020 Normandie)
 

Sur le balcon

Paul Verlaine

Toutes deux regardaient s’enfuir les hirondelles :
L’une pâle aux cheveux de jais, et l’autre blonde
Et rose, et leurs peignoirs légers de vieille blonde
Vaguement serpentaient, nuages, autour d’elles.

Et toutes deux, avec des langueurs d’asphodèles,
Tandis qu’au ciel montait la lune molle et ronde,
Savouraient à longs traits l’émotion profonde
Du soir et le bonheur triste des cœurs fidèles,

Telles, leurs bras pressant, moites, leurs tailles souples,
Couple étrange qui prend pitié des autres couples,
Telles, sur le balcon, rêvaient les jeunes femmes.

Derrière elles, au fond du retrait riche et sombre,
Emphatique comme un trône de mélodrames
Et plein d’odeurs, le Lit, défait, s’ouvrait dans l’ombre.

Paul Verlaine, Parallèlement

(Les Amies)

dimanche 24 janvier 2021

Un chat dans la gorge


 C’est la loi du 15 juillet 1893 qui crée l’Assistance médicale gratuite (AMG), permettant aux malades les plus pauvres (malades, vieillards et infirmes privés de ressources) de bénéficier d’un accès gratuit aux soins de santé.

mardi 19 janvier 2021

L'arbre des dermatoses

La Société Française d'Histoire de la Dermatologie a choisi comme logo l'Arbre des Dermatoses, d'Alibert.

Le baron Jean-Louis Alibert (1768 - 1837), premier médecin à se spécialiser dans l'étude des maladies de la peau dans un cadre hospitalier, a fondé l'Ecole française de Dermatologie à l'hôpital Saint-Louis à Paris, où il fut nommé en 1801.
Sa conception des maladies de la peau, beaucoup trop ambitieuse pour l'époque, comportait une classification complexe, où il a toujours été impossible de se repérer.
La dénomination des maladies et leur classement étaient inspirés des travaux des botanistes, et l'image de l'Arbre est symbolique à plusieurs égards.
Le tronc représente la peau, et les douze branches symbolisent chacune une des douze classes de dermatoses selon Alibert. Les branches se divisent en espèces, groupes, genres, ...à la manière des classements des plantes.

Si cette conception de la dermatologie n'a guère eu de succès, l'image de l'Arbre, présentée de façon théâtrale par Alibert à l'hôpital Saint-Louis à la fin de sa carrière, frappa tous les esprits et est restée comme un symbole, utilisé de diverses façons, de l'ensemble de la dermatologie.

https://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhd/a-propos/



La leçon d'Alibert à l'hôpital Saint-Louis devant l'entrée du pavillon Gabrielle Tableau de René Berthon, 1811.

Trois fois par semaine Alibert donnait des leçons dans l'amphithéâtre au rez-de-chaussée du pavillon Gabrielle. L'étroitesse du lieu incitait Alibert à enseigner en plein air sous les tilleuls devant l'entrée du pavillon. Des planches colorées représentant les maladies de la peau étaient accrochées aux branches des tilleuls. Poumiès de la Siboutie, externe des hôpitaux de Paris en 1811, rappelait qu’Alibert "faisait ses leçons pendant la belle saison sous de grands arbres. Il y attirait tous les hommes de science qui venaient visiter Paris (…) Sa parole était douce, facile et d’une élégance parfaite. Il ne parlait qu’avec amour et fanatisme des affections qu’il étudiait (…) Après la leçon avait lieu la consultation : quarante à cinquante individus des deux sexes venaient étaler leurs infirmités. Plus d’une fois j’ai vu Alibert s’extasier sur ce qu’il appelait la beauté de telle ou telle maladie de la peau. Un jour se présenta un pauvre diable affecté d’éléphantiasis (..) "C’est superbe !" s’écria Alibert.
- Monsieur le docteur, ça peut-il se guérir ?
- Je vous ferai peindre.
- Mais, Monsieur, puis-je espérer d’en guérir ?
- Certainement, certainement, mais je vous ferai peindre.
- Pourrai-je avoir un lit dans votre service ?
- Il vous en faudrait dix que vous les auriez".
Tous les dimanches, il y avait des matinées qui étaient très recherchées. On y voyait des hommes de lettres, des artistes de mérites, quelques femmes renommées par leur esprit, leur amabilité. On y traitait les questions d’art ou de littérature qui étaient à l’ordre du jour "
Poumies de la Siboutie, Souvenirs d’un médecin de Paris, Paris, Plon, 1910, pp. 103-105.
Musée Urbain-Cabrol, Villefranche-de-Rouergue

https://www.biusante.parisdescartes.fr/stlouis/fr/01-07.htm


https://www.ruevisconti.com/Histoire/EnfantsduMarais/PoumiesdelaSiboutie.html
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 Mais également : c'est Natacha Karma qui le dit ! :-)
"Quand tu prends une bouteille pour l’étiquette (l’arbre hein 😜) et qu’il est excellent !!!!
J’ai envie de dire MERCI" 🙏🏻💜🙏🏻



dimanche 17 janvier 2021

Je crève, parlez-moi


  La lecture de ton cahier par le médecin a eu un autre effet. Dans cet immense bâtiment, vous les malades êtes répartis en trois services. Le service des agitées, celui des dangereuses, et celui des chroniques dans lequel tu as été placée à ton arrivée ici.
 En fonction de ce que tes notes lui ont appris, le médecin t'a donné la permission de faire partie de la petite équipe qui se rend parfois utile aux surveillantes.
 Cette décision change en partie ta vie et t'aide à te redresser, à reprendre courage. En outre tu sais très vite te faire apprécier des surveillantes, et en conséquence, les rapports que tu avais avec elles s'améliorent.
 Mais les semaines passent, et Antoine* qui n'est pas des plus dynamiques, n'a toujours pas trouvé la personne qui pourrait chaque jour passer quelques heures auprès de toi et permettrait que tu quittes ce sinistre hôpital.
 De jour en jour, ton impatience grandit, s'exacerbe, et tu supportes de plus en plus mal l'existence à laquelle tu es assujettie. Quand vas-tu retrouver ta maison, tes enfants, ton chien et ces chemins sur lesquels tu peux à loisir dialoguer avec toi-même ? Tu vis avec cette obsession, tendue vers cet instant où tu seras à nouveau libre.
 Ce matin là, tu es autorisée à te rendre dans une petite cour pour y jeter des détritus. Deux hommes du pavillon voisin sont occupés à peindre des barreaux. En passant derrière eux, tu te saisis d'un pot de peinture et te précipites à l'intérieur du bâtiment. Tu roules en boule un morceau de papier resté au fond du panier, tu le plonges dans le pot, et cédant à une furieuse impulsion, tu écris avec rage sur un mur, sur la porte des surveillants, du médecin, en grandes lettres noires dégoulinantes, ces mots qui depuis des jours te déchirent la tête 

   je crève

   parlez-moi

   parlez-moi

   si vous trouviez
   les mots dont j'ai besoin
   vous me délivreriez
   de ce qui m'étouffe

 Tes mains. Ta robe. Tu ne peux nier. Ils te donnent des chiffons, du savon, de l'eau, et t'enjoignent de faire disparaître ce qu'ils nomment des barbouillages. Au lieu de les effacer, tu t'appliques à délayer la peinture et à l'étendre le plus possible.
 La sanction est immédiate : dix jours de cellule. Dix jours sans voir le jour. Une paillasse. Ta nourriture non pas servie dans une gamelle, mais jetée à même le sol.
 Quand tu es de retour parmi les chroniques, tu es brisée.
 Sur ces entrefaites, la guerre a éclaté. Antoine espace ses visites et l'idée de te faire sortir est abandonnée. 

*Antoine : le père de Charles Juliet

Extrait de Lambeaux - Charles Juliet

lundi 11 janvier 2021

Celle-ci on se demande d'où elle vient


Celle-ci on se demande d'où elle vient. Ces mots, on te les lance quand tu déconcertes, qu'on ne sait comment réagir à ce que tu dis. Ils te meurtrissent profondément. Ils t'amènent à supposer que tu viens d'ailleurs, que le père et la mère ne sont pas tes parents, que tu n'es pas membre de cette famille. Pour réduire les occasions où on pourrait te les jeter au visage, toi qui déjà parlais peu, tu t'obliges à encore moins parler et à ne dire que ce que tu as attentivement pesé.

Extrait de Lambeaux - Charles Juliet
 

samedi 9 janvier 2021

Ce monde des livres dont tu te sens exclue


Tu as le désir d'apprendre, de garder contact avec ce monde des livres dont tu te sens exclue. Comment pourrait-il* ne pas accepter ? Et aussi, lui dire que tu souffres. Il faut qu'il te vienne en aide. Qu'il trouve une solution. Apprendre. Dans l'unique but de savoir parler. Connaître le plus possible de mots et savoir dire aux autres ce qu'on est, ce qu'on ressent, comment on voit les choses. Ces phrases qui s'écoulaient de ses lèvres. Simples, aisées, passionnantes. Et qui bien souvent exprimaient exactement ce que tu souhaitais entendre. Un jour, savoir parler aussi bien qu'il parle. Tu travailles avec rage, convaincue que ta fatigue finira par user ta souffrance. Mais tu crains que les petites** ne pressentent que tu n'es plus comme avant, et le visage clos, la parole brève, tu t'appliques à ne rien laisser paraître. Un jour, posséder les mots, savoir dire ce que tu éprouves, savoir parler aussi bien qu'il parle. Semaine après semaine, tu t'éloigne de l'enfant que tu fus, de ce temps où vivre n'était qu'insouciance, crédulité, confiance, bonheur d'appartenir sans réserve à l'instant.

*son instituteur
**ses jeunes sœurs

Extrait de Lambeaux - Charles Juliet

mercredi 6 janvier 2021

Une scolarité stoppée

 





Extraits de LAMBEAUX - Charles Juliet
(Dans cet extrait Charles Juliet évoque sa mère biologique qu'il n'a pas connue. Une mère qui après l'avoir mis au monde fut placée en hôpital psychiatrique)

La magie de la pleine lune