mardi 27 août 2019

Le guérisseur

Lettre de Ibn Maïmoun à Averroès         
                           Fostat, 4 Tishiri 4957 (5 septembre 1196)
Pardonne mon long silence. Mais mon emploi du temps ne m'accorde que peu de répit. Comme je te l'avais indiqué dans une précédente missive, je vis à Fostat, tandis que le sultan réside à Al-Qahira (Le Caire). Il me faut donc deux fois la distance permise un jour de shabbat (près d'un mille et demi - environ 2,5 kms) pour me déplacer d'un lieu à l'autre. Je présume que tu as été informé de la mort de celui-ci qui fut pendant des années mon illustre patient : Saladin. Il est décédé il y a trois ans, à Damas. Ce fut un grand homme. Son fils l'a remplacé. Chaque matin, je dois me rendre chez lui à la première heure : et lorsque l'un de ses enfants ou l'une de ses concubines est malade, je ne puis quitter Al-Qahira, car je dois assurer une présence au palais durant une grande partie de la journée. Il arrive aussi fréquemment que des officiers royaux soient indisposés, rendant ma présence nécessaire à leur chevet. C'est ainsi qu'en principe je suis à Al-Qahira au lever du jour et ne puis rentrer à Fostat qu'au courant de l'après-midi, si toutefois rien d'extraordinaire ne se produit. A mon arrivée, la faim me tenaille tandis que mon antichambre déborde de gens venus me consulter : juifs et gentils, amis et ennemis, hommes importants, simples paysans, bref une grande multitude.
Juste après avoir mis pied à terre, je cours me laver les mains et je demande aussitôt à mes patients de me permettre de prendre une légère collation qui constitue, en fait, mon unique repas de la journée. Je commence ensuite à les examiner et à leur prescrire les aliments qui leur seront profitables. Mes malades entrent et sortent de chez moi jusqu'à la tombée de la nuit, et parfois même, je te l'assure, jusqu'à deux heures, voire trois heures du matin. Je continue de les examiner et de leur faire des prescriptions après m'être allongé en raison de ma grande fatigue ; et lorsqu'il fait nuit noire, je puis à peine parler.
C'est pour cette raison qu'aucun de nos coreligionnaires ne peut s'entretenir avec moi un jour autre que le shabbat. En ce jour, toute la congrégation se rend chez moi après l'office du matin afin que je les instruise de leurs devoirs pour la semaine qui s'annonce ; nous étudions ensuite jusqu'à midi, heure à laquelle ils me quittent.Toutefois, il y a quelques mois, j'ai tout de même réussi à terminer l'écriture du livre que je t'envoie : Le Guide des égarés. Je l'ai rédigé à l'intention des juifs perplexes, qui sont écartelés entre les textes sacrés et la rationalité philosophique. Tu n'auras aucun soucis pour le lire puisqu'il est écrit dans ta langue. Comme tu pourras le constater, je me suis beaucoup appuyé sur notre inspirateur commun, Aristote. Je suis un peu frustré de n'avoir eu accès à ton Traité de l'âme qu'une fois mon Guide publié. Mais je suis en train de le lire, et certains passage sont jumeaux de ma pensée.

Extrait d'AVERROES ou le secretaire du diable - Gilbert Sinoué

2 commentaires:

  1. Quelle conscience professionnelle!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu remarqueras qu'à son retour de vacances, ce guérisseur à pris quelques kilos, d'où son ventre légèrement rebondi ! 🙂

      Supprimer

Fraise en devenir et ciboulette