mardi 1 décembre 2020

Non loin de la mare aux fées...

 


                                                                 (clichés Château de By)

Un après-midi, que nous travaillions ensemble dans le grand atelier, Céline entra pour annoncer que des touristes demandaient à visiter la « galerie Rosa Bonheur ». 

— Mais il n’y a pas de galerie ici, fit la bonne artiste. Dites à ces messieurs que je n’expose pas de tableaux chez moi.

La femme de chambre disparue, Rosa Bonheur se mit à rire.

— J’y suis, dit-elle, ces gens ont vu, mentionnée dans le guide de Denecourt, une galerie ainsi nommée, et ils sont venus la chercher ici, tandis qu’elle se trouve en réalité dans la forêt. Ma galerie se compose d'un magnifique bouquet d’arbres; nous nous sommes promenées bien souvent à son ombre, sans que j’aie songé à vous dire qu'elle m’avait été consacrée par le bienfaiteur des artistes. Car ce Denecourt était un sincère ami de la nature : il a dépensé sa fortune et sa vie à faciliter l'accès de la forêt. On lui doit plus de deux cents kilomètres de routes carrossables, et, ce qui est encore plus précieux, une infinité de sentiers allant dans tous les sens, des itinéraires marqués en rouge et en bleu sur les pierres, — vous les connaissez — pour empêcher les promeneurs de s'égarer.

Du reste, je vais donner l’ordre d’atteler la voiture à deux roues, et notre promenade d’aujourd’hui, nous allons la faire autour de ma « galerie ».

Arrivée dans un vallon pittoresque, non loin de la Mare aux Fées, Rosa Bonheur leva la main vers les branches qui recouvraient notre tête : 

- Voici les arbres auxquels le bon Denecourt a donné mon nom,

dit-elle. Voyez ces feuilles, devenues lumineuses sous les derniers rayons du soleil. N'ont-elles pas la transparence des vitraux les plus magnifiques? Non, il n’y en a pas de plus splendides dans les basiliques.

Ce sont les hautes futaies comme celle-ci, où les branches s'entre- croisent, qui ont inspiré aux architectes du Moyen-Age les voûtes de leurs cathédrales. Les feuilles qui tombent en automne, la sève qui monte au printemps, n'est-ce pas, après tout, le symbole de la vie future ? Pour temples, les Druides avaient leurs forêts. C’est là aussi que se trouve le mien, et que je viens prier et remercier Dieu des bienfaits dont il m a comblée pendant toute ma carrière. La Providence m'a favorisée d’une façon spéciale : je serais bien ingrate si je ne remerciais Dieu de la vie heureuse et exceptionnelle qu'il m'a accordée, et de la protection réelle dont j'ai bénéficié et que j'attribue à l’âme de ma chère mère. Je crois en la justice de Dieu, si ce n’est pas dans ce monde, c'est dans l'autre. Je vous l’ai dit déjà bien souvent; la seule vie matérielle est peu de chose et dure bien peu de temps pour celui qui sait y reconnaître l'Esprit créateur.

On me reproche de ne pas aller à l’église ! J'ai peut-être plus de religion que ceux qui y vont tous les jours marmotter des prières dans une langue qu'ils ne comprennent pas, au lieu de faire tous leurs efforts pour mener une existence sans reproche

Je crois dans l’unité des grandes manifestations divines. Toutes les religions sont bonnes, dès lors que nous adorons l'Esprit infini dans sa création mer- veilleuse. L’Esprit créateur n’a pas voulu qu'il nous fût donné avant la mort de connaître le secret de la vie. Il a tenu à nous laisser libres de la diriger chacun selon notre conscience, mais nous ne pouvons rien affirmer sans orgueil déplacé ou imposture. L'Esprit créateur ne peut être ni conçu, ni jugé par notre humanité.

Extrait de Rosa Bonheur, sa vie, son œuvre - Klumpke Anna

(Anna Klumpke dans l'atelier de Rosa Bonheur)

(Rosa Bonheur assise sur un tronc d'arbre)


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