vendredi 24 janvier 2020

Oignons

Notre comportement précédent nous vaut une réprimande : aucun d'entre nous n'a versé une larme , tandis que les autres se lamentaient. Il ne faut pas oublier que le Parti a des yeux partout : si quelqu'un ne partage pas le deuil national illimité, on se demandera pourquoi !
Après cette douche froide, on nous renvoie dans nos classes pour apprendre à fabriquer des brassards de deuil.
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De longues et monotones journées de deuil s'étirent, interminables. Tous les cours sont consacrés au Maréchal. Nous apprenons plein de choses : Horloo est le nom de sa mère. C'était une femme pauvre, honnête et courageuse qui a appris à son fils à se battre dès l'enfance. Il détestait les princes, les riches, les lamas et a juré de renverser leur ordre. Il portait une chemise de coton bleu. Il a démasqué, arrêté et exterminé les ennemis qui voulaient empoisonner son camarade de lutte, le grand héros Süchbaatar, et vendre la Mongolie aux méchantes puissances étrangères. Il a défendu la révolution et la patrie avec tant de sagesse et de courage qu'on lui a décerné par deux fois le titre de héros de l'Etat et promu au grade militaire suprême de maréchal. Il a toujours tout fait pour nous, et le voilà mort.
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Qu'il est dur de vivre, muets et sans joie , dans un deuil oppressant !
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Ombar a appris comment s'arracher des larmes : il suffit d'imbiber son mouchoir de jus d'oignon et de s'en tamponner les yeux à chaque fois qu'il faut pleurer. Nous sommes nombreux à l'imiter. Lors de la grande manifestation de deuil qui rassemble même des bergers méritants ramenés des quatre coins de la région, nous versons des torrents de larmes qui valent ensuite des louanges à notre école de la part de la direction du canton, et à notre classe de la part du directeur.

Extrait de Le Monde gris - Galsan Tschinag

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