jeudi 23 janvier 2020

Râles, gémissements et sanglots

La véritable fête, nous voulons la célébrer dans les montagnes, dans la yourte de nos parents. Cette fois, même notre frère Dshokonaj a l'intention de nous accompagner. Le dernier jour de l'année , nous nous mettons en route tous les quatre ; accompagnés d'un essaim d'enfants, nous parcourons en peu de temps un long trajet. Mais nous sommes rattrapés par un cavalier. Il nous dit de faire demi-tour immédiatement pour regagner le district : quelque chose de très important et de très grave est arrivé. Nous obéissons à contrecœur, bien que curieux d'apprendre ce qui a pu se produire ! Nous sommes très impressionnés par la vue de ce cavalier, dont le cheval, couvert d'une armure de glace, fume, halète et tremble tandis qu'il l'éperonne de nouveau pour poursuivre son chemin ventre à terre en direction de Gök Meshelik, rattraper et ramener les enfants des Ak sojan 
- comme si nous étions en plein été où pourtant ce genre de scène n'est pas si fréquente non plus !
"Qu'a-t-il bien pu se passer ?" demande l'un de nous.
Notre frère Dshokonaj hoche la tête et réfléchit, pâle d'émotion. "Peut-être un incendie !"
"Ou une épidémie ?"
"Ou une guerre ?"
A ces mots, quelques filles se mettent à pleurer. Et notre grand frère, leur directeur, ne les réprimande pas.
Nous marchons tous ensemble vers le grand bâtiment de la direction du canton dont les poutres écorcées sont peintes en rouge. La foule agglutinée devant les portes ne fait qu'accroître notre curiosité.
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"Une chose absolument horrible est arrivée ! s'écrie Arganak d'une voix étouffée et larmoyante. Mais je préfère que vous l'appreniez de la bouche du camarade secrétaire de la cellule du Parti !" Là-dessus, cet adulte, ce vieil homme même, se met à sangloter sans retenue comme un enfant en butte à une grande injustice.
Nous sommes plantés là, tous effrayés, à regarder fixement les grosses larmes brillantes qui roulent sur la peau fripée de son visage osseux, et nous éprouvons un sentiment pénible. Tout le monde a l'air grave et sombre, mais je constate que seul l'homme chargé de l'entretien des poêles verse des larmes.
A l'annonce de ce mystérieux malheur, mon frère Dshokonaj s'est précipité à l'intérieur du bâtiment. Il met du temps à en ressortir. Nous comprenons que c'en est fini de la joie que nous nous faisions de célébrer le schagaa, la plus belle fête de l'année, et nous nous préparons au pire. C'est alors qu'apparaissent trois hommes et une femme portant au milieu d'eux un portrait du maréchal Tchoïbalsan. Une bande de tissu rouge et noire, de la largeur d'un pouce, orne l'angle inférieur gauche du tableau. Les hommes avancent lentement en chancelant un peu comme sous le poids d'une lourde charge ; ils avancent la tête nue, inclinée sur leur poitrine, en pleurant tous les quatre à qui mieux mieux. Les râles, les gémissements, les sanglots - tous les sons émis par ces quatre personnes nous effleurent de leur souffle chaud. Je touche un doigt de ma sœur et murmure : "Est-ce que le maréchal..." 

Extrait de Le Monde gris - Galsan Tschinag

4 commentaires:

  1. Donc, la Mongolie est un pays communiste?
    Je suis nulle en histoire/géo

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  2. Après la Deuxième Guerre mondiale, la vie politique de cette démocratie populaire est dominée par le Parti populaire révolutionnaire mongol (communiste), qui est un parti unique, et par Yumjaagyn Tsedenbal, le chef du pays de 1952 à 1984. Les changements qui bouleversent le monde communiste au début des années 1990 ont des répercussions sur la Mongolie qui entreprend la libéralisation de son économie et de ses structures politiques. Même si des élections à candidatures multiples sont organisées avec succès au cours de la décennie, les communistes conservent une forte influence sur l'évolution politique du pays. Au début du XXIe siècle, un boom minier permet à la Mongolie de connaître une croissance économique importante.
    http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/pays/MNG/fr.html

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  3. Après la mort de a été,Tchoïbalsan, c'est Y. Tsedenbal qui devient l'homme "indéboulonnable" durant plusieurs décennies. Il est l'un des principaux dirigeants du régime communiste de la République populaire mongole, occupant le poste de secrétaire général du Parti révolutionnaire du peuple mongol pendant 32 ans, de 1940 à 1954 puis à nouveau de 1958 à 1984, celui de Président du Conseil des ministres pendant 22 ans et celui de chef de l'État pendant 10 ans.

    Tsedenbal devient à 23 ans, secrétaire général du Parti révolutionnaire du peuple mongol par la volonté du premier ministre Horloogiyn Choybalsan, fidèle allié de Staline et homme fort du régime. À la mort de Choybalsan en 1952 Tsedenbal, lui succède à la tête du gouvernement, s'affirmant comme le nouveau numéro un du régime communiste mongol. En 1954, il laisse le poste de Secrétaire général du Parti à Dashiin Damba, à un moment où l'URSS décourage le cumul entre les postes de chef de parti et chef du gouvernement ; il redevient cependant Secrétaire général en 1958.

    Sous le gouvernement de Tsedenbal, la Mongolie s'efforce de moderniser son économie : le processus de « socialisation », retardé par la Seconde Guerre mondiale, se poursuit jusqu'en 1959. Le régime communiste pousse à l'urbanisation et s'emploie à décourager le nomadisme. Les institutions juridiques sont progressivement modernisées avec, entre le début des années 1960 et la fin des années 1970, l'établissement d'un code civil, d'un code pénal, ainsi que l'organisation de tribunaux civils et militaires, de collèges d'avocats et des Houral (parlement) locaux. Jusque-là fermée au monde extérieur, la Mongolie est admise à l'ONU en 1961, et noue progressivement des relations diplomatiques avec l'ensemble des autres pays.

    Tsedenbal met en place son propre culte de la personnalité, s'attribuant divers honneurs, dont le grade de général puis, en 1979, celui de maréchal de l'Armée populaire mongole. En 1974, il devient chef de l'État. Le dirigeant mongol organise des purges régulières de l'appareil de l'État et du parti mais, contrairement à Choybalsan, il s'abstient de faire exécuter ses rivaux et les divers cadres en disgrâce, et préfère les exiler.

    En août 1984, alors qu'il se trouvait en URSS pour ses vacances, Yumjagiyn Tsedenbal est démis de l'ensemble de ses fonctions à l'instigation du premier ministre Jambyn Batmonkh. L'éviction de Tsedenbal, motivée par un style de gouvernement de plus en plus autocratique, semble avoir bénéficié de l'assentiment des Soviétiques. Ayant officiellement démissionné de son plein gré pour raisons de santé, Tsedenbal est envoyé « en cure » ; en 1991, il meurt en exil en URSS alors même que la Mongolie entame son processus de transition démocratique.
    (Wikipédia)
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    A noter que l'exercice du chamanisme a été interdit en Mongolie, ainsi que tout ce qui s'apparenterait à des croyances magiques. Il fallait faire très attention à de pas être dénoncé. Le livre Le monde gris le raconte très bien.

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  4. Il faut dire qu'on ne parlait guère de la Mongolie dans les média aucontraire de la Russie et de ses pays satellites à la grande époque de l'URSS!

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