Quoi qu'il en soit, on ne s'adressait plus la parole depuis un mois lorsqu'elle a compris qu'elle était enceinte. Je lis dans vos yeux que vous ne pouvez pas imaginer ce que cela représentait pour une jeune fille en 1956..... A cette époque, l'avortement était illégal et, pour une adolescente, être enceinte signifiait, dans le meilleur des cas, se marier et égrainer ses regrets en regardant grandir son enfant. Elle n'a rien dit sur le coup. Je n'ai su les choses que trois mois plus tard, lorsque sa mère est venue annoncer au pensionnat que sa fille partait pour Paris. J'avais remarqué la pâleur d'Anne au début du deuxième trimestre.J'avais vu ses yeux cernés et j'avais tout mis sur le compte de la fatigue. Dès que j'ai appris la nouvelle, je lui ai écrit, mais elle ne m'a pas répondu. Sa mère refusait qu'elle ait tout contact avec son ancienne complice. Elle a alerté le pensionnat pour qu'ils renforcent leur surveillance. dès lors, il n'était plus question de faire le mur.
Enfin, au début des grandes vacances, j'ai pu m'échapper et gagner la demeure familiale où était cloîtrée mon amie. Je connaissais les habitudes du personnel et j'ai réussi à me faufiler à l'intérieur et à la voir. Nous sommes tombées dans les bras l'une de l'autre. Anne m'a raconté l'horreur qu'elle avait traversée. Sa mère n'avait parlé à personne de sa grossesse.
Très croyante, elle n'avait avoué les faits qu’au curé de la paroisse et, curieusement, c'est l'homme d'Eglise qui l’ avait orientée vers l'avortement. La seule option pour éviter de couvrir la famille de honte.....
Anne m'a raconté qu'elle avait dû se rendre seule au rendez-vous pour ne pas éveiller les soupçons.
A Bordeaux, un homme l'attendait dans un appartement.. Dans la cuisine, il lui a injecté un liquide dont elle n'a jamais su grand-chose si ce n'est la douleur insoutenable qu'il a déclenchée en elle. Puis elle a eu droit à un curetage à vif sans anesthésie, alors que son bourreau lui intimait de ne pas crier et l'humiliait en lui rappelant que, si elle en était arrivée là, elle ne pouvait s'en prendre qu'à ses pulsions impures.
Elle m'a avoué que c'est l'abomination de ce discours qui l’a aidé à tenir. Elevée dans la religion et, quoi qu'elle en dise, sous la coupe de la société bien- pensante que fréquentait sa mère, Anne a accepté cette cruauté comme une juste punition destinée à la laver de ses péchés.Elle n'a même pas reproché à sa famille de ne pas l'avoir envoyée dans une clinique étrangère, alors qu'ils en avaient les moyens.
De façon ironique, c'est cette année-là qu'à l'instigation de la gynécologue Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé est née l'association loi 1901 la Maternité heureuse, qui a donné naissance en 1960 au Planning familial. J'ai adhéré à cette association 10 ans plus tard, en 1966, mais Anne s'y est toujours refusée. Il faut que vous compreniez à quel point cette expérience l'avait perturbée et culpabilisée.
- Et le père de l'enfant ? Il avait plié bagages deux jours après qu’Anne lui avait annoncé la “ bonne nouvelle”. il a dû changer de domaine..... d'autres crus l'attendaient, d'autres filles aussi, sans doute.
Extrait : Le parfum de l'hellébore - Cathy Bonidan
C'est horrible de lire des actes d'une telle cruauté. Ah ces bien pensants de l'époque!
RépondreSupprimerC'était il y a à peine 67 ans. Si tu imagines que ce genre d'histoire pouvait arriver à une jeune fille de 17 ans à l'époque, elle aurait 84 ans aujourd'hui...
SupprimerC'était horrible et inimaginable ce qu'on infligeait à ces jeunes filles, et comme tu le dis dans le commentaire à Mo, cela ne remonte qu'à 67 ans !...
RépondreSupprimerEffectivement, ce n'est rien 67 ans. Au fait, as-tu lu Le parfum de l'hellébore ? Pour moi ce fut une bonne surprise :-) Je t'en dirai plus lorsque tu l'auras lu !
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