samedi 23 mai 2020

La nuit, ils grouillaient librement


Quand l'ennui se transformait graduellement en tension, quand les jeux divers ne pouvaient plus combler le vide sidéral du temps qui passe, quand le silence s'épuisait, quand enfin la résignation touchait à ses limites, les hommes tombaient dans un état de nervosité extrême, prêts à s’entretuer.

Surtout les jours de pluie. Pluie tropicale. Vent de montagne. Le vacarme des trombes d'eau, le sifflement du vent dans les failles rocheuses, le hurlement des singes, ainsi que l'air saturé d'eau et de l'odeur des feuilles mortes en décomposition, emplissaient la prison. Sans compter l'invasion des insectes et des escargots. Les escargots ! Ils pullulaient et grimpaient le long de la roche en suivant les lianes pour entrer dans la cellule. La salle extérieure était moins envahie mais, chaque jour, il y en avait quand même quelques grosses dizaines qui entraient par les fenêtres. Le jour, on les voyait assez pour les attraper et les jeter dehors. La nuit, en revanche, ils grouillaient librement : sur les murs, le sol, les planches, les bras, les jambes et les visages. L'espace entre les planches était colonisé non seulement par les escargots, mais aussi par toutes sortes d'insectes rampants, serpents et scolopendres. Pour toutes ces raisons, plus il pleuvait, plus le sang des détenus bouillait. On aurait dit que le bruit de cette pluie torrentielle, soudain, suffisait à ramener les prisonniers à l'âge des cavernes. Les plus faibles devenaient les souffre-douleur des divers "seigneurs" de cellule qui, après les avoir bien humiliés, fulminaient contre le "meurtrier aux six crevettes".

(cette description date de la fin des années 1980)

Extrait de "Les collines d'eucalyptus" - Duong Thu Huong
(traduit du vietnamien)

1 commentaire:

Ma chère Florence, c'est comment là haut ?

Si si, elle m'a répondu :-)