- Ouah ! Mais c'est la maison de Monsieur Range-Tout ! Pourquoi est-ce qu'il n'y a rien aux murs ?
Je n'avais reçu personne chez moi depuis que Daphné avait quitté l'immeuble. Je savais que je n'avais qu'à sortir une assiette et des couverts supplémentaires, mais la soirée avait été stressante et l'euphorie due à la montée d'adrénaline qui avait immédiatement suivi l'Incident de la Veste s'était dissipée, pour ma part en tout cas. Rosie, elle, donnait l'impression d'être dans un état d'exaltation permanent.
Nous nous trouvions dans la partie séjour, contiguë à la cuisine.
- Parce que si je mettais quelque chose, ai-je répondu, au bout d'un moment je cesserais de le remarquer. Le cerveau humain est programmé pour se concentrer sur les différences au sein de son environnement - il faut qu'il puisse rapidement repérer la présence d'un prédateur. Si j'avais des reproductions ou d'autres objets décoratifs, je les remarquerais pendant quelques jours et ensuite mon cerveau les ignorerait. Quand j'ai envie de voir des oeuvres d'art, je vais au musée. Les peintures y sont de meilleure qualité et le coût global, à long terme, est inférieur au prix d'achat de posters bon marché.
En réalité, je n'avais pas mis les pieds dans un musée d'art depuis le 10 mai, trois ans auparavant. Conscient que cette information ne pouvait qu'affaiblir mon argumentation, je n'ai vu aucune raison d'en faire part à Rosie et de risquer de susciter de nouvelles interrogations sur d'autres aspects de ma vie personnelle.
Rosie s'était avancée dans la pièce et examinait ma collection de CD. Cette indiscrétion devenait contrariante. Nous étions déjà en retard pour le dîner.
- Vous aimez vraiment Bach, a-t-elle remarqué.
C'était une déduction raisonnable, puisque ma collection de CD contient exclusivement des œuvres de ce compositeur. Pourtant, elle n'était pas exacte.
- J'ai décidé de me concentrer sur Bach après avoir lu Gôdel, Escher, Bach de Douglas Hofstadter.
Malheureusement, je n'ai pas beaucoup avancé. Je crois que mon cerveau ne fonctionne pas assez vite pour arriver à décoder les structures musicales.
- Vous ne l'écoutez pas pour le plaisir ?
Ça m'a rappelé mes premières conversations avec Daphné du temps où elle venait dîner, et je n'ai pas répondu.
- Vous avez un iPhone ? a-t-elle demandé.
- Oui, bien sûr, mais je ne m'en sers pas pour la musique. Je télécharge des podcasts.
- Laissez-moi deviner... Sur la génétique.
- La science en général.
Je suis passé à la cuisine pour commencer à préparer le dîner, suivi par Rosie, qui s'est arrêtée pour étudier le programme affiché sur mon tableau blanc.
- Ouah, a-t-elle fait une fois de plus.
Cette réaction commençait à devenir prévisible. Je me suis demandé quelle exclamation lui inspirerait la structure de l'ADN ou l'histoire de l'évolution.
J'ai sorti des légumes et des fines herbes du réfrigérateur.
Je peux vous aider ? a-t-elle demandé. Vous voulez que je hache quelque chose ?
Ce qui sous-entendait qu'émincer était une tâche à la portée d'une personne inexpérimentée ignorant tout de la recette. Je n'avais pas oublié qu'elle avait reconnu être incapable de préparer un repas même si sa vie en dépendait. J'ai soudain eu la vision d'énormes morceaux de poireau et de fragments de fines herbes tellement minuscules qu'ils passeraient par les trous de l'écumoire.
- Pas besoin d'aide. Je recommande la lecture d'un livre.
J'ai suivi Rosie des yeux pendant qu'elle se dirigeait vers la bibliothèque. Elle en a inspecté attentivement le contenu et s'est éloignée. Peut-être se servait-elle de logiciels IBM plutôt que Mac. Pourtant, un grand nombre de manuels étaient valables pour les deux systèmes.
Ma chaîne hi-fi est équipée d'un port iPod dont je me sers pour écouter des podcasts pendant que je fais la cuisine. Rosie y a branché son téléphone et les hauts-parleurs se sont mis à diffuser de la musique. Le volume était faible, mais j'étais certain que si, invité chez quelqu'un, j'avais passé un podcast sans demander l'autorisation, on m'aurait reproché un comportement social inadapté. J'en étais parfaitement certain car j'avais précisément commis cette erreur à un dîner quatre ans et soixante-sept jours plus tôt.
Rosie a poursuivi son exploration, comme un animal introduit dans un nouveau milieu, ce qui était évidemment son cas. Elle a écarté les stores puis les a relevés, faisant voler un peu de poussière. Comme je n'ai jamais besoin d'ouvrir les stores - et bien que je me considère comme très tatillon en matière de ménage-, un peu de saleté s'était probablement accumulée aux endroits qui ne sont pas accessibles quand ils sont baissés. Derrière les stores, il y a des porte-fenêtres ; Rosie a tiré les verrous et les a ouvertes.
Cette violation de mon environnement personnel me mettait extrêmement mal à l'aise. J'ai essayé de me concentrer sur la préparation des aliments pendant que Rosie disparaissait sur le balcon. Je l'ai entendue traîner deux gros pots de plantes, probablement mortes depuis toutes ces années. J'ai mis le mélange d'herbes et de légumes dans la grande casserole avec l'eau, le sel, le vinaigre de vin de riz, le mirin, les écorces d'orange et les graines de coriandre.
- Je ne sais pas ce que vous préparez, a crié Rosie, mais je suis plus ou moins végétarienne.
Végétarienne ! J'avais déjà commencé à faire la cuisine ! A partir d'ingrédients achetés en partant de l'hypothèse que je dînerais seul ! Et puis, que signifiait "plus ou moins" ? Fallait-il en conclure à une marge étroite de flexibilité, à l'image de ma collègue Esther qui avait admis, mais uniquement au terme d'un interrogatoire serré, qu'elle accepterait peut-être de manger du porc si sa vie en dépendait.
Les végétariens et les végétaliens peuvent être incroyablement contrariants. Il y a une blague que raconte Gene : "Comment savoir si quelqu'un est végétarien ? Attends dix minutes et il te le dira." Si c'était le cas, il n'y aurait pas vraiment de problème. Mais non ! Les végétariens acceptent de venir dîner chez vous et vous annoncent ensuite : "Je ne mange pas de viande." C'était la deuxième fois. Le Désastre du pied de Porc s'était produit six ans auparavant, quand Gene m'avait conseillé d'inviter une femme à dîner chez moi. Il prétendait que mes compétences culinaires me rendraient plus désirable et qu'au moins je n'aurai pas à gérer la pression de l'environnement d'un restaurant. "En plus, tu pourras boire autant que tu veux et tituber jusqu'à ta chambre."
La femme s'appelait Bethany et son profil internet ne mentionnait pas qu'elle était végétarienne. Conscient que la qualité du repas serait capitale, j'avais emprunté à la bibliothèque un ouvrage de recettes récent intitulé Du groin à la queue et prévu plusieurs plats à base de différentes parties du cochon : cervelle, langue, mésentère, pancréas, rognons, etc
Béthany était arrivée à l'heure et avait l'air tout à fait charmante. Nous avions pris un verre de vin, après quoi tout était allé de mal en pis. Nous avions commencé par le pied de porc frit, qui avait exigé une préparation extrêmement complexe, et dont Bethany avait très peu mangé. "Je ne suis pas particulièrement friande des pieds de cochon", avait-elle dit. Ce n'était pas entièrement déraisonnable : nous avons tous des préférences et elle se souciait peut-être de la teneur en lipides et en cholestérol des aliments.
Mais voilà que quand j'avais annoncé les plats suivants, elle avait déclaré être végétarienne. Incroyable !
Elle avait proposé de m'inviter à dîner au restaurant mais j'avais consacré tant de temps à ce repas que je n'avais pas voulu laisser perdre cette nourriture. J'avais mangé seul, et n'avais jamais revu Bethany.
Maintenant, Rosie. Après tout, c'était peut-être une bonne chose. Rosie partirait, et ma vie reprendrait son cours normal. Elle n'avait de toute évidence pas répondu sincèrement au questionnaire, ou alors Gene s'était trompé. A moins qu'il ne l'ait sélectionnée pour son haut niveau d'attrait sexuel, m'imposant ainsi ses propres critères de préférence.
Rosie est revenue du balcon et m'a regardé comme si elle attendait une réponse.
- Les fruits de mer, c'est OK, a-t-elle dit. A Condition qu'ils soient issus de l'aquaculture durable.
J'éprouvais des sentiments ambigus : il est toujours satisfaisant de trouver la solution à un problème, d'un autre côté, cela voulait dire que Rosie resterait pour le dîner. Je suis passé à la salle de bain et elle m'a suivi. J'ai attrapé le homard qui rampait au fond de la baignoire.
- Oh merde, a-t-elle fait.
- Vous n'aimez pas le homard ? ai-je demandé en le rapportant à la cuisine.
- J'adore le homard, mais...
Le problème était évident et je pouvais comprendre sa réticence.
- Vous trouvez le processus de mise à mort déplaisant. Je suis d'accord avec vous.
J'ai fourré l'animal dans le congélateur et expliqué à Rosie qu'après des recherches sur les méthodes d'exécution des homards, j'avais constaté que celle du congélateur passait pour la plus humaine. Je lui ai donné la référence d'un site internet.
Pendant que le homard mourait, Rosie a continué à fouiner un peu partout. En ouvrant le placard à provisions, elle a eu l'air impressionnée par son degré d'organisation : une étagère pour chaque jour de la semaine, plus des espaces de rangement pour les ressources communes, alcool, petit déjeuner etc, avec l'état des stocks affiché au dos de la porte.
- Vous n'avez pas envie de venir faire un peu de rangement chez moi ?
- Vous voulez appliquer le Système de Repas Normalisé ?
Malgré ses avantages considérables, la plupart des gens le trouvent bizarre.
- Un grand nettoyage du frigo, ça serait déjà pas mal, a-t-elle répondu. Je suppose que vous voulez les ingrédients du mardi ?
Supposition inutile, l'ai-je informée, puisque nous étions précisément mardi.
Elle m'a tendu les feuilles de nori et les flocons de bonite. Je lui ai demandé l'huile de noix de macadamia, le sel marin et le moulin à poivre rangés dans la zone des ressources communes.
- Vin de riz chinois, ai-je ajouté. Section alcool.
- Ça va de soi. Elle m'a passé le vin et a entrepris d'inspecter les autres bouteilles d'alcool.) Vous faîtes le même repas tous les mardis, c'est bien ça ?
- Exact.
Je lui ai énuméré les huit avantages majeurs du Système de Repas Normalisé.
1. Pas besoin d'accumuler les livres de recettes.
2. Liste des courses normalisée - d'où efficacité supérieure de l'activité achats.
3. Gaspillage presque nul - rien dans le réfrigérateur ni dans le placard à l'exception des ingrédients indispensables aux recettes.
4. Régime alimentaire planifié et équilibré à l'avance sur le plan nutritionnel.
5. Pas de temps perdu à se demander ce qu'on va préparer.
6. Pas d'erreurs, pas de surprises déplaisantes.
7. Excellente nourriture, supérieure à celle de la plupart des restaurants, à un prix largement inférieur (voir point 3).
8. Charge cognitive minimale requise.
- Charge cognitive ?
- Les procédures de préparation sont stockées dans mon cervelet - ce qui permet d'éviter la quasi intégralité des efforts conscients.
- Comme quand on fait du vélo.
- Exact.
- Vous pouvez préparer du homard à la je-ne-sais-quoi sans réfléchir ?
- Salade de homard, mangue, avocat avec œufs de poisson volant enrobés de wasabi et garniture d'algues croustillantes et de poisson frit. Exact. Actuellement je travaille sur le désossage des cailles : je n'y arrive pas encore sans effort conscient.
Rosie riait. Ça m'a rappelé des souvenirs d'école.
De bons souvenirs.
Au moment où je sortais du réfrigérateur des ingrédients supplémentaires à l'assaisonnement, Rosie est passée devant moi avec deux demi-bouteilles de chablis qu'elle a mises au congélateur avec le homard.
- On dirait que notre dîner ne bouge plus.
- Il faut un peu plus de temps pour être certain qu'il est mort. Malheureusement l'incident de la Veste a bouleversé le programme des préparatifs. Il va falloir recalculer tout l'emploi du temps.
Je me suis rendu compte que j'aurai dû mettre le homard au congélateur dès notre arrivée à l'appartement, mais j'étais en surcharge cérébrale en raison des problèmes créés par la présence de Rosie. J'ai commencé à noter sur le tableau blanc les horaires de préparation révisés. Rosie passait les ingrédients en revue.
- Vous aviez l'intention de manger tout ça à vous seul ?
Je n'avais pas modifié le Système de Repas Normalisé depuis le départ de Daphné et mangeais désormais la totalité de la salade de homard du mardi, en supprimant le vin pour compenser l'absorption additionnelle des calories.
- La quantité est suffisante pour deux, ai-je confirmé. Impossible de réduire les proportions. Il est inenvisageable d'acheter une fraction de homard vivant.
J'avais conçu cette dernière phrase comme une plaisanterie anodine et Rosie a réagi en riant. J'ai éprouvé un nouveau sentiment inattendu de bien-être tout en continuant à recalculer les horaires.
Rosie m'a de nouveau interrompu :
- Si vous aviez respecté votre programme normal, quelle heure serait-il en ce moment ?
- 18h38
L'horloge du four indiquait 21h09. Rosie a repéré le bouton de réglage et entrepris de rectifier l'heure. J'ai compris ce qu'elle faisait. Une solution parfaite. Quand elle a eu fini, l'horloge indiquait 18h38. Plus besoin de recalculer. Je l'ai félicitée d'avoir eu cette idée.
- Vous avez créé un nouveau fuseau horaire. Le dîner sera prêt à 20h55, heure de Rosie.
- En plus ça évite les maths.
Cette observation m'a donné l'occasion de lui poser une autre question de l'Opération Epouse :
- Vous avez des difficultés en mathématiques ?
Elle a ri.
Je n'avais reçu personne chez moi depuis que Daphné avait quitté l'immeuble. Je savais que je n'avais qu'à sortir une assiette et des couverts supplémentaires, mais la soirée avait été stressante et l'euphorie due à la montée d'adrénaline qui avait immédiatement suivi l'Incident de la Veste s'était dissipée, pour ma part en tout cas. Rosie, elle, donnait l'impression d'être dans un état d'exaltation permanent.
Nous nous trouvions dans la partie séjour, contiguë à la cuisine.
- Parce que si je mettais quelque chose, ai-je répondu, au bout d'un moment je cesserais de le remarquer. Le cerveau humain est programmé pour se concentrer sur les différences au sein de son environnement - il faut qu'il puisse rapidement repérer la présence d'un prédateur. Si j'avais des reproductions ou d'autres objets décoratifs, je les remarquerais pendant quelques jours et ensuite mon cerveau les ignorerait. Quand j'ai envie de voir des oeuvres d'art, je vais au musée. Les peintures y sont de meilleure qualité et le coût global, à long terme, est inférieur au prix d'achat de posters bon marché.
En réalité, je n'avais pas mis les pieds dans un musée d'art depuis le 10 mai, trois ans auparavant. Conscient que cette information ne pouvait qu'affaiblir mon argumentation, je n'ai vu aucune raison d'en faire part à Rosie et de risquer de susciter de nouvelles interrogations sur d'autres aspects de ma vie personnelle.
Rosie s'était avancée dans la pièce et examinait ma collection de CD. Cette indiscrétion devenait contrariante. Nous étions déjà en retard pour le dîner.
- Vous aimez vraiment Bach, a-t-elle remarqué.
C'était une déduction raisonnable, puisque ma collection de CD contient exclusivement des œuvres de ce compositeur. Pourtant, elle n'était pas exacte.
- J'ai décidé de me concentrer sur Bach après avoir lu Gôdel, Escher, Bach de Douglas Hofstadter.
Malheureusement, je n'ai pas beaucoup avancé. Je crois que mon cerveau ne fonctionne pas assez vite pour arriver à décoder les structures musicales.
- Vous ne l'écoutez pas pour le plaisir ?
Ça m'a rappelé mes premières conversations avec Daphné du temps où elle venait dîner, et je n'ai pas répondu.
- Vous avez un iPhone ? a-t-elle demandé.
- Oui, bien sûr, mais je ne m'en sers pas pour la musique. Je télécharge des podcasts.
- Laissez-moi deviner... Sur la génétique.
- La science en général.
Je suis passé à la cuisine pour commencer à préparer le dîner, suivi par Rosie, qui s'est arrêtée pour étudier le programme affiché sur mon tableau blanc.
- Ouah, a-t-elle fait une fois de plus.
Cette réaction commençait à devenir prévisible. Je me suis demandé quelle exclamation lui inspirerait la structure de l'ADN ou l'histoire de l'évolution.
J'ai sorti des légumes et des fines herbes du réfrigérateur.
Je peux vous aider ? a-t-elle demandé. Vous voulez que je hache quelque chose ?
Ce qui sous-entendait qu'émincer était une tâche à la portée d'une personne inexpérimentée ignorant tout de la recette. Je n'avais pas oublié qu'elle avait reconnu être incapable de préparer un repas même si sa vie en dépendait. J'ai soudain eu la vision d'énormes morceaux de poireau et de fragments de fines herbes tellement minuscules qu'ils passeraient par les trous de l'écumoire.
- Pas besoin d'aide. Je recommande la lecture d'un livre.
J'ai suivi Rosie des yeux pendant qu'elle se dirigeait vers la bibliothèque. Elle en a inspecté attentivement le contenu et s'est éloignée. Peut-être se servait-elle de logiciels IBM plutôt que Mac. Pourtant, un grand nombre de manuels étaient valables pour les deux systèmes.
Ma chaîne hi-fi est équipée d'un port iPod dont je me sers pour écouter des podcasts pendant que je fais la cuisine. Rosie y a branché son téléphone et les hauts-parleurs se sont mis à diffuser de la musique. Le volume était faible, mais j'étais certain que si, invité chez quelqu'un, j'avais passé un podcast sans demander l'autorisation, on m'aurait reproché un comportement social inadapté. J'en étais parfaitement certain car j'avais précisément commis cette erreur à un dîner quatre ans et soixante-sept jours plus tôt.
Rosie a poursuivi son exploration, comme un animal introduit dans un nouveau milieu, ce qui était évidemment son cas. Elle a écarté les stores puis les a relevés, faisant voler un peu de poussière. Comme je n'ai jamais besoin d'ouvrir les stores - et bien que je me considère comme très tatillon en matière de ménage-, un peu de saleté s'était probablement accumulée aux endroits qui ne sont pas accessibles quand ils sont baissés. Derrière les stores, il y a des porte-fenêtres ; Rosie a tiré les verrous et les a ouvertes.
Cette violation de mon environnement personnel me mettait extrêmement mal à l'aise. J'ai essayé de me concentrer sur la préparation des aliments pendant que Rosie disparaissait sur le balcon. Je l'ai entendue traîner deux gros pots de plantes, probablement mortes depuis toutes ces années. J'ai mis le mélange d'herbes et de légumes dans la grande casserole avec l'eau, le sel, le vinaigre de vin de riz, le mirin, les écorces d'orange et les graines de coriandre.
- Je ne sais pas ce que vous préparez, a crié Rosie, mais je suis plus ou moins végétarienne.
Végétarienne ! J'avais déjà commencé à faire la cuisine ! A partir d'ingrédients achetés en partant de l'hypothèse que je dînerais seul ! Et puis, que signifiait "plus ou moins" ? Fallait-il en conclure à une marge étroite de flexibilité, à l'image de ma collègue Esther qui avait admis, mais uniquement au terme d'un interrogatoire serré, qu'elle accepterait peut-être de manger du porc si sa vie en dépendait.
Les végétariens et les végétaliens peuvent être incroyablement contrariants. Il y a une blague que raconte Gene : "Comment savoir si quelqu'un est végétarien ? Attends dix minutes et il te le dira." Si c'était le cas, il n'y aurait pas vraiment de problème. Mais non ! Les végétariens acceptent de venir dîner chez vous et vous annoncent ensuite : "Je ne mange pas de viande." C'était la deuxième fois. Le Désastre du pied de Porc s'était produit six ans auparavant, quand Gene m'avait conseillé d'inviter une femme à dîner chez moi. Il prétendait que mes compétences culinaires me rendraient plus désirable et qu'au moins je n'aurai pas à gérer la pression de l'environnement d'un restaurant. "En plus, tu pourras boire autant que tu veux et tituber jusqu'à ta chambre."
La femme s'appelait Bethany et son profil internet ne mentionnait pas qu'elle était végétarienne. Conscient que la qualité du repas serait capitale, j'avais emprunté à la bibliothèque un ouvrage de recettes récent intitulé Du groin à la queue et prévu plusieurs plats à base de différentes parties du cochon : cervelle, langue, mésentère, pancréas, rognons, etc
Béthany était arrivée à l'heure et avait l'air tout à fait charmante. Nous avions pris un verre de vin, après quoi tout était allé de mal en pis. Nous avions commencé par le pied de porc frit, qui avait exigé une préparation extrêmement complexe, et dont Bethany avait très peu mangé. "Je ne suis pas particulièrement friande des pieds de cochon", avait-elle dit. Ce n'était pas entièrement déraisonnable : nous avons tous des préférences et elle se souciait peut-être de la teneur en lipides et en cholestérol des aliments.
Mais voilà que quand j'avais annoncé les plats suivants, elle avait déclaré être végétarienne. Incroyable !
Elle avait proposé de m'inviter à dîner au restaurant mais j'avais consacré tant de temps à ce repas que je n'avais pas voulu laisser perdre cette nourriture. J'avais mangé seul, et n'avais jamais revu Bethany.
Maintenant, Rosie. Après tout, c'était peut-être une bonne chose. Rosie partirait, et ma vie reprendrait son cours normal. Elle n'avait de toute évidence pas répondu sincèrement au questionnaire, ou alors Gene s'était trompé. A moins qu'il ne l'ait sélectionnée pour son haut niveau d'attrait sexuel, m'imposant ainsi ses propres critères de préférence.
Rosie est revenue du balcon et m'a regardé comme si elle attendait une réponse.
- Les fruits de mer, c'est OK, a-t-elle dit. A Condition qu'ils soient issus de l'aquaculture durable.
J'éprouvais des sentiments ambigus : il est toujours satisfaisant de trouver la solution à un problème, d'un autre côté, cela voulait dire que Rosie resterait pour le dîner. Je suis passé à la salle de bain et elle m'a suivi. J'ai attrapé le homard qui rampait au fond de la baignoire.
- Oh merde, a-t-elle fait.
- Vous n'aimez pas le homard ? ai-je demandé en le rapportant à la cuisine.
- J'adore le homard, mais...
Le problème était évident et je pouvais comprendre sa réticence.
- Vous trouvez le processus de mise à mort déplaisant. Je suis d'accord avec vous.
J'ai fourré l'animal dans le congélateur et expliqué à Rosie qu'après des recherches sur les méthodes d'exécution des homards, j'avais constaté que celle du congélateur passait pour la plus humaine. Je lui ai donné la référence d'un site internet.
Pendant que le homard mourait, Rosie a continué à fouiner un peu partout. En ouvrant le placard à provisions, elle a eu l'air impressionnée par son degré d'organisation : une étagère pour chaque jour de la semaine, plus des espaces de rangement pour les ressources communes, alcool, petit déjeuner etc, avec l'état des stocks affiché au dos de la porte.
- Vous n'avez pas envie de venir faire un peu de rangement chez moi ?
- Vous voulez appliquer le Système de Repas Normalisé ?
Malgré ses avantages considérables, la plupart des gens le trouvent bizarre.
- Un grand nettoyage du frigo, ça serait déjà pas mal, a-t-elle répondu. Je suppose que vous voulez les ingrédients du mardi ?
Supposition inutile, l'ai-je informée, puisque nous étions précisément mardi.
Elle m'a tendu les feuilles de nori et les flocons de bonite. Je lui ai demandé l'huile de noix de macadamia, le sel marin et le moulin à poivre rangés dans la zone des ressources communes.
- Vin de riz chinois, ai-je ajouté. Section alcool.
- Ça va de soi. Elle m'a passé le vin et a entrepris d'inspecter les autres bouteilles d'alcool.) Vous faîtes le même repas tous les mardis, c'est bien ça ?
- Exact.
Je lui ai énuméré les huit avantages majeurs du Système de Repas Normalisé.
1. Pas besoin d'accumuler les livres de recettes.
2. Liste des courses normalisée - d'où efficacité supérieure de l'activité achats.
3. Gaspillage presque nul - rien dans le réfrigérateur ni dans le placard à l'exception des ingrédients indispensables aux recettes.
4. Régime alimentaire planifié et équilibré à l'avance sur le plan nutritionnel.
5. Pas de temps perdu à se demander ce qu'on va préparer.
6. Pas d'erreurs, pas de surprises déplaisantes.
7. Excellente nourriture, supérieure à celle de la plupart des restaurants, à un prix largement inférieur (voir point 3).
8. Charge cognitive minimale requise.
- Charge cognitive ?
- Les procédures de préparation sont stockées dans mon cervelet - ce qui permet d'éviter la quasi intégralité des efforts conscients.
- Comme quand on fait du vélo.
- Exact.
- Vous pouvez préparer du homard à la je-ne-sais-quoi sans réfléchir ?
- Salade de homard, mangue, avocat avec œufs de poisson volant enrobés de wasabi et garniture d'algues croustillantes et de poisson frit. Exact. Actuellement je travaille sur le désossage des cailles : je n'y arrive pas encore sans effort conscient.
Rosie riait. Ça m'a rappelé des souvenirs d'école.
De bons souvenirs.
Au moment où je sortais du réfrigérateur des ingrédients supplémentaires à l'assaisonnement, Rosie est passée devant moi avec deux demi-bouteilles de chablis qu'elle a mises au congélateur avec le homard.
- On dirait que notre dîner ne bouge plus.
- Il faut un peu plus de temps pour être certain qu'il est mort. Malheureusement l'incident de la Veste a bouleversé le programme des préparatifs. Il va falloir recalculer tout l'emploi du temps.
Je me suis rendu compte que j'aurai dû mettre le homard au congélateur dès notre arrivée à l'appartement, mais j'étais en surcharge cérébrale en raison des problèmes créés par la présence de Rosie. J'ai commencé à noter sur le tableau blanc les horaires de préparation révisés. Rosie passait les ingrédients en revue.
- Vous aviez l'intention de manger tout ça à vous seul ?
Je n'avais pas modifié le Système de Repas Normalisé depuis le départ de Daphné et mangeais désormais la totalité de la salade de homard du mardi, en supprimant le vin pour compenser l'absorption additionnelle des calories.
- La quantité est suffisante pour deux, ai-je confirmé. Impossible de réduire les proportions. Il est inenvisageable d'acheter une fraction de homard vivant.
J'avais conçu cette dernière phrase comme une plaisanterie anodine et Rosie a réagi en riant. J'ai éprouvé un nouveau sentiment inattendu de bien-être tout en continuant à recalculer les horaires.
Rosie m'a de nouveau interrompu :
- Si vous aviez respecté votre programme normal, quelle heure serait-il en ce moment ?
- 18h38
L'horloge du four indiquait 21h09. Rosie a repéré le bouton de réglage et entrepris de rectifier l'heure. J'ai compris ce qu'elle faisait. Une solution parfaite. Quand elle a eu fini, l'horloge indiquait 18h38. Plus besoin de recalculer. Je l'ai félicitée d'avoir eu cette idée.
- Vous avez créé un nouveau fuseau horaire. Le dîner sera prêt à 20h55, heure de Rosie.
- En plus ça évite les maths.
Cette observation m'a donné l'occasion de lui poser une autre question de l'Opération Epouse :
- Vous avez des difficultés en mathématiques ?
Elle a ri.
C'est la parti de mon boulot qui me donne le plus de mal. Ca me rend cinglée.
Si le calcul élémentaire des additions d'un bar et d'un restaurant la dépassait, j'avais peine à imaginer que nous puissions avoir des discussions intéressantes.
Où est-ce que vous planquez le tire-bouchon ? a-t-elle demandé.
- Il n'y a pas de vin au programme du mardi.
- Rien à foutre.
La réponse de Rosie ne manquait pas d'une certaine logique intrinsèque. Après tout, je n'allais manger qu'une part du dîner. Dernière étape du renoncement au programme de la soirée.
J'ai annoncé le changement :
- Le temps a été redéfini. Les règles antérieures ne sont plus valables. L'alcool est par la présente déclaré obligatoire dans le Fuseau Horaire de Rosie.
......
......
Je suis passé derrière Rosie et j'ai rempli son verre. Elle a souri. Elle avait certainement mis du rouge à lèvres.
J'ai beau essayer de produire un repas normalisé, reproductible, la qualité des ingrédients varie inévitablement d'une semaine à l'autre. Cette fois, ils m'ont paru exceptionnels. La salade de homard n'avait jamais été aussi délicieuse.
.......
.......
Rosie a fini son vin. Elle avait l'air plongée dans ses pensées. Qui n'avaient rien de profond, en réalité. Et si vous alliez chercher une autre bouteille ? Sa proposition m'a légèrement abasourdi. Nous avions déjà bu la quantité maximum recommandée. Il est vrai qu'elle fumait, ce qui révélait une attitude désinvolte en matière de santé.
- Vous voulez plus d'alcool ?
- Exact, a-t-elle dit d'une voix bizarre.
Je me suis demandé si elle m'imitait.
Je suis allé à la cuisine chercher une autre bouteille, décidant de réduire ma consommation d'alcool du lendemain pour compenser. Puis j'ai vu l'horloge : 23h40. J'ai décroché le téléphone et commandé un taxi. Avec un peu de chance, il, serait là avant le début du tarif d'après minuit. J'ai ouvert une demi bouteille de syrah que nous pourrions boire en attendant qu'il arrive.
........
........
Une idée évidente m'est venue, évidente parce que je suis généticien :
- Vous avez des cheveux d'une couleur tout à fait inhabituelle. Peut-être....
Elle a ri.
- Vous auriez du mal à trouver un gène responsable de cette nuance de roux. (Elle a dû remarquer que j'étais troublé.) Elle sort d'un flacon, vous savez.
J'ai compris ce qu'elle voulait dire. Elle avait délibérément teint ses cheveux d'une couleur vive qui n'était pas naturelle. Incroyable. Je n'avais même pas pensé à inclure ce point dans mon questionnaire. J'ai pris mentalement note de l'ajouter.
La sonnette de la porte a tinté. Je ne lui avais pas parlé du taxi, et l'ai donc mise au courant de mon plan. Elle a rapidement vidé son verre puis m'a tendu la main, et j'ai eu l'impression que je n'étais pas le seul à être mal à l'aise.
- Et bien, a-t-elle dit, quelle soirée ! Bonne chance dans la vie.
C'était une manière atypique de dire bonsoir. Il m'a paru plus prudent de m'en tenir aux conventions. "Bonne nuit". J'ai passé une excellente soirée", à quoi j'ai ajouté :
- J'espère que vous retrouverez votre père.
- Merci.
Et elle est partie.
Je ne tenais pas en place, mais ce n'était pas une nervosité déplaisante. Plutôt une forme de surcharge sensorielle. J'ai constaté avec satisfaction qu'il restait du vin dans la bouteille. J'ai rempli mon verre et j'ai téléphoné à Gene. C'est Claudia qui a décroché et je me suis dispensé de civilités.
- Il faut que je parle à Gene.
- Il n'est pas là. (Elle paraissait désorientée. Peut-être avait-elle bu.) Je croyais que tu l'avais invité à manger du homard.
- Gene m'a envoyé la femme la plus incompatible du monde. Une barmaid. En retard, végétarienne, désorganisée, irrationnelle, une hygiène de vie déplorable, fumeuse - fumeuse ! - des problèmes psychologiques, ne sait pas faire la cuisine, incompétente en mathématiques, couleur de cheveux artificielle. Je suppose que c'était une blague.
Claudia a dû prendre ça pour un appel de détresse parce qu'elle m'a demandé :
- Ça va Don ?
- Bien sûr. Je l'ai trouvée très amusante. Mais tout à fait inadéquate pour l'Opération Epouse.
En prononçant ces mots, indéniablement conformes à la réalité, j'ai éprouvé un pincement de regret en contradiction avec mon évaluation intellectuelle. Claudia a interrompu ma tentative pour concilier ces deux états cérébraux conflictuels.
- Don, tu sais quelle heure il est ?
Je n'avais pas de montre. C'est alors que j'ai compris mon erreur. Je m'étais référé à l'horloge de la cuisine au moment d'appeler le taxi. L'horloge que Rosie avait réglée à son heure. Il devait être près de 2h30. Comment avais-je pu perdre ainsi toute notion du temps ? Voilà qui me rappelait durement les dangers de toute perturbation du programme. Rosie allait devoir payer le tarif d'après minuit.
J'ai laissé Claudia se rendormir. En ramassant les deux assiettes et les deux verres pour les rapporter à l'intérieur, j'ai regardé une dernière fois la vue sur la ville de nuit - cette vue que je n'avais jamais remarquée, alors qu'elle avait toujours été là.
J'ai décidé de sauter mon habituelle séance d'aïkido d'avant-coucher. Et de laisser la table improvisée en place.
Le théorème du homard ou comment trouver la femme idéale- Graeme Simsion
Salmorejo (à partager)
Où est-ce que vous planquez le tire-bouchon ? a-t-elle demandé.
- Il n'y a pas de vin au programme du mardi.
- Rien à foutre.
La réponse de Rosie ne manquait pas d'une certaine logique intrinsèque. Après tout, je n'allais manger qu'une part du dîner. Dernière étape du renoncement au programme de la soirée.
J'ai annoncé le changement :
- Le temps a été redéfini. Les règles antérieures ne sont plus valables. L'alcool est par la présente déclaré obligatoire dans le Fuseau Horaire de Rosie.
......
......
Je suis passé derrière Rosie et j'ai rempli son verre. Elle a souri. Elle avait certainement mis du rouge à lèvres.
J'ai beau essayer de produire un repas normalisé, reproductible, la qualité des ingrédients varie inévitablement d'une semaine à l'autre. Cette fois, ils m'ont paru exceptionnels. La salade de homard n'avait jamais été aussi délicieuse.
.......
.......
Rosie a fini son vin. Elle avait l'air plongée dans ses pensées. Qui n'avaient rien de profond, en réalité. Et si vous alliez chercher une autre bouteille ? Sa proposition m'a légèrement abasourdi. Nous avions déjà bu la quantité maximum recommandée. Il est vrai qu'elle fumait, ce qui révélait une attitude désinvolte en matière de santé.
- Vous voulez plus d'alcool ?
- Exact, a-t-elle dit d'une voix bizarre.
Je me suis demandé si elle m'imitait.
Je suis allé à la cuisine chercher une autre bouteille, décidant de réduire ma consommation d'alcool du lendemain pour compenser. Puis j'ai vu l'horloge : 23h40. J'ai décroché le téléphone et commandé un taxi. Avec un peu de chance, il, serait là avant le début du tarif d'après minuit. J'ai ouvert une demi bouteille de syrah que nous pourrions boire en attendant qu'il arrive.
........
........
Une idée évidente m'est venue, évidente parce que je suis généticien :
- Vous avez des cheveux d'une couleur tout à fait inhabituelle. Peut-être....
Elle a ri.
- Vous auriez du mal à trouver un gène responsable de cette nuance de roux. (Elle a dû remarquer que j'étais troublé.) Elle sort d'un flacon, vous savez.
J'ai compris ce qu'elle voulait dire. Elle avait délibérément teint ses cheveux d'une couleur vive qui n'était pas naturelle. Incroyable. Je n'avais même pas pensé à inclure ce point dans mon questionnaire. J'ai pris mentalement note de l'ajouter.
La sonnette de la porte a tinté. Je ne lui avais pas parlé du taxi, et l'ai donc mise au courant de mon plan. Elle a rapidement vidé son verre puis m'a tendu la main, et j'ai eu l'impression que je n'étais pas le seul à être mal à l'aise.
- Et bien, a-t-elle dit, quelle soirée ! Bonne chance dans la vie.
C'était une manière atypique de dire bonsoir. Il m'a paru plus prudent de m'en tenir aux conventions. "Bonne nuit". J'ai passé une excellente soirée", à quoi j'ai ajouté :
- J'espère que vous retrouverez votre père.
- Merci.
Et elle est partie.
Je ne tenais pas en place, mais ce n'était pas une nervosité déplaisante. Plutôt une forme de surcharge sensorielle. J'ai constaté avec satisfaction qu'il restait du vin dans la bouteille. J'ai rempli mon verre et j'ai téléphoné à Gene. C'est Claudia qui a décroché et je me suis dispensé de civilités.
- Il faut que je parle à Gene.
- Il n'est pas là. (Elle paraissait désorientée. Peut-être avait-elle bu.) Je croyais que tu l'avais invité à manger du homard.
- Gene m'a envoyé la femme la plus incompatible du monde. Une barmaid. En retard, végétarienne, désorganisée, irrationnelle, une hygiène de vie déplorable, fumeuse - fumeuse ! - des problèmes psychologiques, ne sait pas faire la cuisine, incompétente en mathématiques, couleur de cheveux artificielle. Je suppose que c'était une blague.
Claudia a dû prendre ça pour un appel de détresse parce qu'elle m'a demandé :
- Ça va Don ?
- Bien sûr. Je l'ai trouvée très amusante. Mais tout à fait inadéquate pour l'Opération Epouse.
En prononçant ces mots, indéniablement conformes à la réalité, j'ai éprouvé un pincement de regret en contradiction avec mon évaluation intellectuelle. Claudia a interrompu ma tentative pour concilier ces deux états cérébraux conflictuels.
- Don, tu sais quelle heure il est ?
Je n'avais pas de montre. C'est alors que j'ai compris mon erreur. Je m'étais référé à l'horloge de la cuisine au moment d'appeler le taxi. L'horloge que Rosie avait réglée à son heure. Il devait être près de 2h30. Comment avais-je pu perdre ainsi toute notion du temps ? Voilà qui me rappelait durement les dangers de toute perturbation du programme. Rosie allait devoir payer le tarif d'après minuit.
J'ai laissé Claudia se rendormir. En ramassant les deux assiettes et les deux verres pour les rapporter à l'intérieur, j'ai regardé une dernière fois la vue sur la ville de nuit - cette vue que je n'avais jamais remarquée, alors qu'elle avait toujours été là.
J'ai décidé de sauter mon habituelle séance d'aïkido d'avant-coucher. Et de laisser la table improvisée en place.
Le théorème du homard ou comment trouver la femme idéale- Graeme Simsion
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