mercredi 4 novembre 2020

Le choix du menu...


 (dessin VO151N)

La majorité des gens a intégré ce que les médias s'obstinent à appeler la "Transition".

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Il se souvient du jour où la Grande Guerre Bactériologique a été annoncée. L'hystérie collective, les suicides, la peur. Après la GGB, il n'a plus été possible de manger d'animaux car ils avaient contracté un virus mortel pour les humains. C'était le discours officiel. Des mots avec assez de poids pour nous façonner, pour supprimer toute remise en question, pense-t-il.

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Après la GGB, le monde a changé irréversiblement. On a testé des vaccins, des antidotes, mais le virus a résisté puis muté.

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Il veut effacer de lointaines images, des souvenirs qui persistent. Les tas de chats et de chiens brûlés vifs. Une griffure signifiait la mort. L'odeur de chair brûlée était restée pendant des semaines. Il se souvient des brigades en combinaisons jaunes qui, la nuit, sillonnaient la ville pour éliminer et brûler tout animal qui croiserait leur route.

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A l'époque, certains avaient déjà commencé à tuer des gens pour les manger clandestinement. La presse avait mentionné le cas de deux Boliviens sans emploi, attaqués, démembrés puis rôtis par leurs voisins. La nouvelle lui avait donné des frissons. Ce fut là le premier scandale public, celui qui introduisit dans la société l'idée que, après tout, la viande reste de la viande, qu'importe d'où elle vient.

Il incline la tête pour faire couler l'eau sur son visage. Il voudrait que les gouttes lui lavent le cerveau. Mais il sait que les souvenirs restent là, toujours. Dans plusieurs pays, les immigrés s'étaient mis à disparaître en masse. Des immigrés, des marginaux, des pauvres. Ils étaient chassés, et quelquefois sacrifiés. La légalisation fut prononcée lorsque les gouvernements se mirent à subir des pressions des puissants industriels du secteur qui était à l'arrêt. Les abattoirs et les normes s'adaptèrent. Très vite on éleva du bétail pour répondre à la demande massive de viande.

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Un grand zoologiste qui écrivait dans ses articles que le virus n'était qu'une invention eut un regrettable accident. Lui aussi il pense que cette maladie n'est qu'une mise en scène pour endiguer la surpopulation.

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La purge apporta néanmoins quelques points positifs : réduction de la population et de la pauvreté, viande à nouveau disponible. Les prix étaient élevés, mais le marché grandissait à un rythme accéléré. Il y eut d'importantes manifestations, des grèves de la faim, des plaintes déposées par les organisations de défense des droits de l'homme, mais au même moment apparurent aussi des articles, des études et des informations qui influencèrent l'opinion publique. De prestigieuses universités affirmèrent que les protéines animales étaient nécessaires pour vivre, des médecins confirmèrent que les protéines végétales ne comportaient pas tous les acides aminés essentiels, des experts assurèrent que les émissions à effet de serre avaient certes diminué, mais que la malnutrition avait augmenté, et des revues allèrent même jusqu'à parler du côté obscur des végétaux. Les foyers de protestation s'affaiblirent peu à peu et la presse relaya de nouveaux cas de décès dus au virus animal.

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Il se repasse en boucle la même publicité. Une belle femme tirée à quatre épingles sert le dîner à son mari et ses trois enfants. Elle regarde la caméra en disant : "Je donne à ma famille de la nourriture spéciale : la viande de toujours, mais en encore meilleure !" La famille sourit et mange. Le gouvernement, son gouvernement, a décidé de donner un nouveau nom au produit. La viande humaine s'appelle désormais "viande spéciale". Elle a cessé d'être seulement de la viande pour devenir "bavette spéciale", "côtelette spéciale", "rognon spécial".

Lui ne dit pas viande spéciale. Pour faire référence à ces humains qui ne seront jamais des personnes, mais toujours des produits, il utilise les termes techniques. Il parle de quantités de tête à transformer, de lot en attente dans la bouverie, de ligne d'abattage censée respecter un rythme constant et rigoureux, d'excréments à revendre pour fabriquer de l'engrais, d'ateliers de découpe. Personne ne doit plus les appeler "humains" car cela reviendrait à leur donner une entité ; on les nomme donc "produit", ou "viande", ou "aliment". Sauf lui, qui voudrait n'avoir à les appeler par aucun nom.


Extraits de "Cadavre exquis" - Agustina Bazterrica

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https://youtu.be/lhx1cWJL0oU

https://justaword.fr/cadavre-exquis-583260f58ec6

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Vison

Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage.

3 commentaires:

  1. Prémonitoire ?...
    Pauvres visons...
    https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/covid-19-le-danemark-va-abattre-des-millions-de-visons-en-raison-d-une-mutation-du-virus_4168337.html

    Et maintenant les oiseaux confinés...
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/11/05/grippe-aviaire-45-departements-places-en-risque-eleve-des-restrictions-imposees_6058587_3244.html

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  2. J'ai loupé la dépose de mon commentaire hier?
    j'ai téléchargé ce bouquin, j'aime la SF.

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