lundi 24 juin 2019

L'animal que je suis

Photo St-Tropez juin 2018

Mon instinct animal

Enfant, je savais,je pressentais être un animal. De nature tantôt sociable, tantôt solitaire, je jouissais d'un caractère très farouche. Observant ce qui m'entourait avec distance, je désespérais de ne trouver rien ou presque qui me ressemblerait. Mon éducation bourgeoise me permit de m'intégrer et de m'adapter à toute bonne société, bien qu'il fût rare que j'apprécie la compagnie durable des gens. En effet, ce que je chéris le plus dans les relations humaines est l'évidence qui doit en découler. Ce qui est rarement le cas. Les rapports superficiels où l'on cherche ses mots, la bonne position où l'on se valorise, ne m'ont jamais convenu. Moi, j'aime la sincérité. Pure et sans détour.
On n'apprend pas à renifler. C'est un don animal et instinctif originel que j'ai su développer au gré des années et des rencontres. Je sonde et reconnais rapidement une personne, parce que je la renifle. Mon tempérament sélectif m'incite à ne recevoir que très peu de gens, chez moi, à la Madrague. Et la plupart de mes échanges avec mes congénères se font par voies épistolaires. Il y a des gens qui me touchent énormément avec un simple écrit et ils deviennent des amis par correspondance. La distance physique me convient tout à fait aujourd'hui, et même dans le cadre d'une grande amitié. Rencontrer les gens suppose qu'on y consacre du temps et des fioritures verbales qui demeurent inutiles lorsque l'on communique sur papier. J'aime l'essentiel, l'échange profond, discuter pour dire quelque chose. Aujourd'hui, plus qu'hier encore, je m'assois sur les convenances et les superficialités. Je n'ai plus de temps à perdre pour tout cela.
Cette inadaptation à l'humanité, cette peur bleue qui m'anime face à la plupart des hommes m'ont atrocement fait souffrir durant ma vie d'actrice. Je tremble devant les êtres humains qui, en général, ne définissent leurs rapports qu'à travers le conflit, la guerre, la bagarre, la revendication. Cette frayeur en a été d'autant plus vive lorsque j'ai moi-même été victime de rapports de force. Je le dis sans gêne, les hommes m'ont fait du mal. Beaucoup. Et ce n'est qu'auprès des animaux, de la nature, que j'ai retrouvé la paix. Mes moments de quiétude ont toujours trouvé leur raison d'être dans la solitude à la campagne, éloignée de tout étranger, repliée sur moi-même, avec le peu de gens en qui j'avais confiance.
Durant ma première partie de vie, je n'ai jamais caché ma tentation de tout plaquer. Mais je ne savais pas vers quoi ou qui me tourner. Je savais qu'une autre vie était possible, j'aimais les animaux et les respectais, je flairais et expérimentais un bien-être incommensurable quand je vivais auprès d'eux, et j'ai mis du temps à transformer ce lien merveilleux en vocation.
Je me souviens de moments de bonheur suspendus avec certains être animaux. Pour le tournage des Bijoutiers du clair de lune en 1957, toute l'équipe avait été installée dans un petit patelin du sud de l'Espagne, à Torremolinos, en Andalousie. Un jour, une tempête apocalyptique a tout ravagé : des arbres ont été arrachés, des maisons détruites, des cadavres de moutons jonchaient la plage. Après cette tornade, j'ai recueilli un petit âne et une petite chienne dans ma chambre de fortune, qui n'était rien d'autre qu'une pièce blanchie à la chaux. Et j'ai dormi avec tout ce beau monde, à l'abri durant trois nuits. Alors que mes partenaires me regardaient avec des yeux ronds, moi, je me sentais bien, en phase avec ce que j'étais.

Extrait de LARMES DE COMBAT - Brigitte Bardot


3 commentaires:

  1. On ne dira pas qu'elle est bête, n'es-ce pas? ;-)

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    1. Loin de là, elle est "nature", impulsive, hypersensible, franche, dérangeante :-)

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    2. Je dirai même très honnête, efficace, téméraire, jusqu’au-boutiste, courageuse, intègre, les mots me manquent ! Elle ne retournera pas sa veste comme on dit ; c'est une femme de conviction qui a fait tout ce qu'elle a pu pour le bien être animal. Elle n'a d'ailleurs pas hésité à vendre ses biens pour créer sa fondation qui a nécessité beaucoup d'argent. C'est une précurseuse. C'est drôle le correcteur d'orthographe n'aime pas ce mot et estime que seul un homme peut l'être en étant précurseur)... Mon œil ! ;-)

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