lundi 11 février 2019

La perfection de son imperfection


La perfection de son imperfection

"Même quand il était loin d'Amy, il la voyait, sentait le parfum musqué de son cou, scrutait ses yeux brillants, entendait son rire rauque, remontait du bout de l'index sa cuisse un peu lourde, contemplait sa coiffure imparfaite, ses bras aux rondeurs mystérieusement féminine, ni fermes ni flasques, mais pour lui admirables. Les imperfections d'Amy se multipliaient chaque fois qu'il l'observait et l'enchantaient toujours davantage ; il était comme un explorateur dans une nouvelle contrée où tout serait sens dessus dessous et d'autant plus merveilleux.
Il manquait à Amy cette conformité aux canons de la beauté qui valait à Ella d'être si souvent admirée et comparée à diverses stars de Hollywood ; Amy était trop bien en chair pour cela. Quand il était loin d'elle, il essayait de se souvenir de toutes ses imperfections parfaites, de leur capacité à l'exciter et le ravir, et plus il s'attardait sur elles, plus leur effet s'intensifiait. Ce grain de beauté au-dessus de la lèvre supérieure, son irrésistible sourire aux dents saillantes, sa démarche vaguement maladroite : un mouvement de hanche calculé, presque aguicheur, comme si elle tentait de contrôler l'incontrôlable, de jouer les saintes nitouches sans trahir quelque chose de féminin et d'animal à la fois. Elle tirait machinalement sur le haut de son corsage, le remontait sur son décolleté comme pour empêcher ses seins d'apparaître à un moment inopportun.
Il se rappelait que plus elle s'efforçait d'échapper à sa nature et de la dissimuler, plus celle-ci se déchaînait dans son regard. Elle était un paradoxe ambulant, à la fois gênée et excitée par cela même qui suintait d'elle. Quand elle riait, elle gloussait, quand elle bougeait, elle se balançait, et pour lui elle était indissociable de son parfum musqué, des rafales erratiques du vent marin qui traversait la loggia de l'hôtel et faisait doucement battre les portes-fenêtres ouvertes. Au lit, elle effleurait de la main certaines parties de son corps et inspectait ses hanches ou ses cuisses avec une étrange perplexité ; son corps représentait un mystère aussi insoluble pour elle que pour lui. Elle parlait d'elle-même en des termes s'appliquant à une construction défectueuse : la forme de ses jambes, son tour de taille, le dessin de ses yeux.
Au début il avait refusé de croire à son amour pour lui. Plus tard il l'avait réduit à un désir charnel, et enfin, quand il lui avait été impossible de le nier, il avait été déstabilisé par son animalité, sa puissance, sa voracité à peine croyable. Et si cette force vitale semblait parfois trop intense et inexplicable à un homme aussi dépourvu d'estime de soi que Dorrigo Evans, elle était également, avait-il fini par admettre, inexorable, incontournable et irrésistible, alors il s'y était abandonné."

La route étroite vers le nord lointain - Richard Flanagan

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